Le cap de l’ours

29 juillet 2012

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Plus je m’en approche plus la peur me prenais au ventre, le dernier golfe à traverser a très mauvaise réputation et souvent on me l’avait décrit comme un tueur. Je sais que je peux le faire mais je suis mal à l’aise. Le bivouac de hier soir était magnifique, l’un des plus beaux mais pourtant je n’ai qu’une hâte, c’est le quitter. L’angoisse est à la porte de mes pensées, je la chasse : « Pas avec moi, vous vous trompez de client chère madame ! » Je vérifie une dernière fois Immaqa et pars rejoindre ma tente. L’orage gronde, la pluie s’abat sur nous. Tant mieux elle aplatira le résidu de vagues d’Est, ce sera ça en moins à gérer. Je fais des exercices de respiration et trouve un profond sommeil. 4H30 le vent est passé au Sud-ouest, c’était prévu, mais il ne faudrait pas qu’il soit trop fort, j ai 8km à faire avec lui par mon travers tribord. Je m’saffaire et reprend ma route. Un bref passage au milieu d’un petit groupe d’îles et je me retrouve en pleine mer. Pas de houle bien-sur, le vent vient de terre, mais la côte est à 6km et l’effet de Fesch  a le temps de bien brasser la mer. Le vent pour l’instant est une brise soutenue navigable. Puis, ce que pressentais, il fraîchit ! Pour la énième fois je jette un dernier coup d’œil à mon hiloire, qu’il soit bien étanche et essai d’augmenter la fréquence des coups de pagaies. Plus les jours passent, plus mon Nautiraid 540 m’impressionne de part sa stabilité. A chaque vague il revient fier comme un corse ! Je suis vigilant et me prépare à lui donner le coup de rein s’il tentait de chavirer. J’avance vite car le vent de travers ne freine pas. 1h30 et j’arrive à rejoindre un îlot grand comme un mouchoir de poche, c’était ma première étape. En me faufilant je me glisse entre deux cailloux pour nous bloquer et me refaire une santé. Je reçois la météo qui annonce une rotation lente du vent à l’Ouest-Nord-Ouest en mollissant. Je veux y croire à cette prévision, elle serait le miracle de cette traversée. Je reprends la mer, le bout du golfe n’est plus qu’à 6km. Par expérience je me dis que le vent risque même de glisser sur le littoral et prendre une direction Ouest. J’y crois, je suis positif, mes anges gardiens m’ont envoyé ce papillon hier soir pour me rassurer, alors j’avance. Un grand récif me sert de bouclier, il bloque les vagues et le terrain me devient plus favorable. Je prends 45° Est et vise le cap Björn (Ours en Suédois). Il est seulement à 15km ! Je retiens ma respiration, je prends l’axe du vent qui m’amène droit sur le dernier promontoire de mon périple en Botnie. Je suis heureux comme un gosse, je ne veux vexer personne alors je me tais, je n’ose rien penser, mais pourtant je sens que la partie va se jouer en notre faveur. 20’ et le vent semble s’être bien calé, je tente mon carré d’as, j’envoie le cerf-volant. Il part au quart de tour, je suis propulsé droit sur l’Ours ! Je stoppe mes efforts et écoute le vent siffler dans mes oreilles, il me susurre quelque chose : « Je ne t’ai pas trop malmené, mais je t’ai mis des épreuves que tu as su réussir sans rager ou chougner, par la grâce des Dieux des vents je vais te pousser jusqu’au bout de ce golfe. Ici j’ai tué beaucoup d’hommes mais aujourd’hui le minuscule point rouge et noir passera sans encombre… » 10h30 je double le cap Björn, je hurle ma joie, je suis sur que de Luléa à Stockholm on a dû l’entendre ! Vous l’avez entendu vous aussi ! Je n’ai plus que 35km de côtes remplies d’iles  pour arriver à Öregrund qui marquera la fin de mon périple en mer de Botnie et me mettra dans un long canal débouchant sur la capitale suédoise Stockholm. Vers 12h je vois une brèche à terre, un semblant de replat herbeux. Je me fraie un passage au milieu de cailloux et trouve un petit coin pour dresser mon bivouac. Juste derrière un parking d’un tout petit
port abri désert. Une table des bancs, j’y fais mon bureau-cuisine. Je crois que ce soir je vais m’écrouler.
PS : Jo Zef et Norra se sont calés au sommet de la tente pour sécher et se remettre de toutes ses émotions.
I’m a free Man !

A pluche !

Une étape treize improbable !

15 juillet 2012
Immaqa mis à l'abri le temps du déluge...

quelle aubaine pour Immaqa et moi de trouver cet abri de pêcheurs...

C’est ma treizième étape pour le dix-huitième jour depuis Luléa, ce chiffre ne me plait qu’à moitié, mais aux orties les superstitions il est temps de repartir. La houle rentre dans l’anse et mon départ est un peu sportif. Tout en règle, nous sommes déjà à l’abri d’une petite île.
Plus rien à voir avec les bourrasques d’hier, une douce brise d’Est se fait à peine sentir. Ce lieu déclaré patrimoine international par l’UNESCO est merveilleux, ma navigation rase cailloux me fait encore plus apprécier le privilège d’être là. La série d’îles passées il me
faut faire une traversée de 7 petits kilomètres. Comme à chaque fois je mets mon instinct en éveil. Il me dit de forcer sur les pagaies, alors je « bourrine » ! Un immense nuage noir me vient par le travers, ça sent la rouste ! J’accélère le rythme, les épaules, les bras, les abdos tout est à fond et ca tient. J’arrive à l’abri de cette longue île lorsque comme par miracle le grain explose, des tonnes d’eau et de violentes rafales de vent. Je suis à 5 mètres de la côte et le coup de zef ne fait que m’effleurer. Je n’aimerais pas être en pleine mer en ce moment. Sous un déluge je poursuis toujours Sud, mais la pluie redouble, un véritable grain antillais mais avec une eau polaire. Deux heures que je fais des bulles, j’ai froid, j’ai faim mais je n’ai pas envie de m’arrêter sous ce déluge. Je passe un hameau de pêcheurs qui ont fondé ce lieu, il y a au moins cent ans bien avant que les permis de construire soient gelées par l’état. Des hangars sur pilotis servent encore pour certains, d’abris à barque ; l’une d’elle est vide ! Je bifurque et m’engage sous cet abri béni des Dieux. Une mini plage de galet sous la maison permet à Immaqa de beacher et j’arrive à m’extraire de mon kayak. Dehors c’est le déluge et nous sommes à l’abri. Une sorte de ponton en bois est l’accès, je me repends et tente de mettre mon âme à sécher. Je décide de déjeuner, déjà 5h30 que je pagaie. Alors que je déguste mes éternelles nouilles chinoises, je remarque un robinet. De l’eau potable en sort, je fais faire les niveaux. Puis dans l’angle du ponton, je me rends compte qu’un pommeau de douche est accroché ! Un robinet bleu et un rouge ! Je tente une sortie par une porte dérobée pour essayer de voir quelqu’un mais sous ce déluge aucune âme qui vit ne répond à mes appels. Je retourne à « mon » ponton et je laisse couler l’eau et là au miracle de l’eau bouillante en sort. Je me moque de qui pourra venir, je prends une douche, je suis transi de froid et depuis 18 jours je ne suis lavé qu’avec l’eau de la Botnie. Nu comme un vers je suis sous la douche, j’ai pris soin de bien mettre en évidence ma prothèse que si quelqu’un aurait la mauvaise idée de passer, il tomberait nez à nez avec Magui. La douche est brulante, j’en ai les larmes aux yeux de bonheur, je n’en sortirai plus, mon corps sort de congélation, il revit. 15 minutes de cuisson et rouge comme une langouste je m’essuie enfin. Dehors la pluie a cessé, le ciel devient gris clair, je reprends la mer, je suis hilare. Il y avait une chance sur un million que ça arrive et c’est tombé sur moi. Je me sens en pleine forme, la brise faible est de retour et le ciel se déchire, du bleu semble vouloir forcer le destin. Sur mon bâbord je perçois quelque chose, un oiseau mort, un bois flotté ? Je prends 15° Est et m’approche de l’intrus !!! Mais cette journée n’en finira jamais de me surprendre… un petit ourson en peluche flotte, je n’en crois pas mes yeux. En 410km je n’ai pas vu le moindre déchet sur l’eau, même sur les plages aucune  trace de plastique ou dérivé. Je récupère le naufragé, Jo Zef intervient !!! Je l’essore et le cale sur mon vide poche, j’explose de rire ! Il faut lui trouver un nom, la mascotte me dit que c’est une fille ! Ok ! L’île où nous nous situons s’appelle Norra Ulvön, ce sera Norra !!! Je n’arrête pas de rire, je deviens fou, cette journée est absolument dingue. Je suis tellement en forme que je décide de passer les heures réglementaires et me retrouver dans une crique d’une beauté extrême avec Norra qui sèche au soleil, qui est enfin de retour. 42 km qui dit mieux ? C’était une étape treize improbable !
Eh Jo pour le bouche à bouche on ne met pas la langue !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
A pluche !

Une grande traversée…

12 juillet 2012
Seul mais en compagnie d'un bon feu bienfaiteur.

Seul mais en compagnie d'un bon feu bienfaiteur.

Pluie, brouillard, houle et vent incertain, vous commencez à connaître le refrain. 5h38 je sors du petit abri qui m’a si joliment accueilli et reprends ma route. Cet hiver à la réception des cartes marines du coin, je m’étais fait une sorte de « road book ». Basé sur des distances de 30 km, j’avais défini les possibilités du parcours. Bien-sûr méfiant comme une mascotte qui planque une crêpe oubliée, je n’avais pas osé la traversée des grands golfes. Me voilà au pied du mur, plutôt au cap de mes questions ! J’y vais, j’y vais pas ? 25km de traversée en kayak de raid super chargé. Doucement je passe ma première heure sans vouloir y penser, puis je décide de prendre 10° ouest pour raser une pointe à 7km de là, je verrais bien. J’avance dans le coton, la pluie est si fine que je ne la vois pas tomber, des millions de perles d’eau sur Immaqa. Un silence surprenant dés que je quitte la côte qui reçoit une forte houle comme un bruit de train qui passe. J’arrête de pagayer, rien pas un son, rien devant, rien derrière, je suis au milieu de nul part. Mes seuls contrôles, le compas et le sens de la houle. Route au 240°. J’entends de nouveau le fracas des vagues,  je ne devrais plus être loin du premier promontoire. Comme par enchantement il apparait. Je suis bien physiquement et surtout dans ma tête, si je coupe je gagne plus de 18km, une bonne demi-journée ! Je m’étire, bois un café avec quelques barres de céréales et prend la décision de traverser. Les trois premières heures sont faciles à ma grande surprise, le brouillard m’enveloppe et me donne la sensation de me protéger, le vent reste faible et la houle s’allonge en même temps que la profondeur du golfe grandit. Mes idées s’envolent mais je remarque une sensation très étrange, je ne sais pas si c’est le fait que les journées soient longues et très physiques, j’ai beaucoup de difficulté à me souvenir ce que j’ai fait hier ?! Un peu comme si le moment présent était plus fort que tout !!! J’aurais le temps d’y penser quand ce sera fini. Finalement après 7 heures de mer je passe le grand cap Husum pour trouver une plage de galets et prendre la décision d’arrêter là pour aujourd’hui. Seulement 27 km d’effectuer mais en vérité j’en avais prévu 18 de plus si je n’avais pas coupé. Good job, Immaqa, good job. Terrain plat pour monter la tente, bois flotter pour alimenter un grand feu et malgré le crachin un grand lavage du pagayeur heureux d’être arrivé là. Il paraît que l’été c’est pour bientôt, pour l’instant c’est encore l’hiver. La mascotte est verte de rage, un champ entier de framboisier à perte de vue mais elles sont encore toutes vertes…
Patienccccccccccccccccccccccccccceeeeeeee !
A pluche !

Pourtant il y en a qu’un !

11 juillet 2012
Un coin paisible aprés une belle et bien longue journée...

Un coin paisible après une belle et bien longue journée...

Hier fut la journée à cogiter, trop de vent trop de risque, je pense donc je suis ! 4h45 pas besoin de réveil je suis d’attaque, enfin disons plutôt je commence la routine du déménagement, mais nous sommes deux sans compter Jo Zef bien-sur ! Ce matin il y a Frank le guerrier et Frank le gamin. Les deux s’affrontent et commencent un drôle de dialogue :

–          On ne part pas il y a trop de houle, trop de pluie et si le vent se lève de nouveau, t’as vu le baro comme il est encore bas !

–          Oh le gosse tu ne vas pas t’y mettre, on démonte tout et on s’arrache, pas de trouille à avoir on est des durs à cuir, des tatoués, des vrais mecs qui en ont !!!

–          Allez, on remet le départ à demain, je viens de grimper là-haut sur le rocher et le ressac fait peur, il y a une immense barre noire dans la direction où l’on doit aller.

–          Écoute moi bonhomme, ici les mecs qui ont la trouille, pas de volonté et qui ruminent sans cesse que faut pas y aller y morfle avec moi, remue toi le cul et plie moi ce foutoir.

Jo Zef n’en croit pas ses oreilles, il y aurait deux personnes dans la même. Finalement le gros dur a eu le dessus et Immaqa est reparti en mer. Mais les engueulades continuent à bord,  le temps fait son boulot et la mer s’assagit alors les deux mectons se calment, s’unissent et décident de ne faire plus qu’un. Le premier cap est passé, la logique dirait de tirer tout droit mais la prudence nous fait passer par un archipel bien à l’abri de la houle qui se meurt et finalement au bout de 9heures d’efforts une charmante crique accueille  le pèlerin en kayak pour une douce soirée calme. Il semble que le ciel veuille s’éclaircir. Jamais ce matin j’aurais pensé que l’on puisse parcourir 32km dans ces conditions. La volonté, la rigueur, l’analyse sont les éléments essentiels pour réussir une telle entreprise. Mon frangin Dume m’a envoyé un très bref message comme il en raffole :  » Ne sois jamais satisfait de toi, ça pourrait t’empêcher de devenir ce que tu n’es pas encore.  »
D’un petit caillou isolé du golfe de Botnie je vous envoie toute l’énergie du monde, prenez la, ne la gaspillez pas, elle si éphémère.

PS : Quand je suis en journée off, Véro m’envoie tous  vos messages de soutien. Je suis très heureux de constater que ce périple vous passionne et vous en remercie du fond du cœur. Merci  aussi pour les privés.

Invite sur terre…

10 juillet 2012
Jo Zef et moi au chaud et à l'abri dans notre petit refuge...

Jo Zef et moi au chaud et à l'abri dans notre petit refuge...

Le baromètre qui chute et rien qui ne se passe, ce n’est pas normal ! Je marmonnais ça dans ma parka depuis quelques jours mais cela me semblait louche. Ouf, me voilà rassuré, le coup de vent est bien arrivé. De grosses rafales et une forte pluie m’ont fait prendre la sage décision de ne pas m’engager en mer ce matin. Découvrir ses limites, d’accord, les dépasser jamais. Emmitouflé dans mon duvet, j’apprécie la pluie tapoter la toile, je mets la radio Mix Mega Full, une sorte de Nostalgie Suède avec une touche d’Energie, mais Frankie goes to hollywood ou les Queens ne valent pas la mélodie de la tourmente qui m’enveloppe, alors je coupe. La différence entre la musique et le bruit, l’émotion qu’elle nous offre. Seul sur un îlot de 100X400 mts je suis devenu robinson. Mais où est mon vendredi se demande Jo Zef ?  Le temps prend une autre forme, une alchimie interne. Aucune information du monde qui s’agite ne peut m’ébranler, couper des hommes virtuels et non vertueux, je suis simplement, un petit « moi ». Ces moments sont des  privilèges immenses, ce n’est pas l’arrivée qui compte mais le chemin qui y mène et sur ma route ces arrêts tempête me ressourcent, me font cogiter. Il y a eu le minéral, le végétal, l’animal et enfin l’homme. Ce dernier et j’en fais parti, s‘est parasité de millions d’indispensables. Nous en sommes les esclaves. Le monde qui ne sait plus que conjuguer au futur, a avalé, englouti le présent ; le vide fait peur. Pourtant une bouteille pleine ne pourra jamais ramener l’eau de la source qui jaillit là haut sur la montagne. Le vent fait plier mon bivouac, mais je suis serein, heureux de pouvoir être cet habitant improbable du caillou si isolé. Ce voyage comme les autres est une initiation, un apprentissage infini, nous naissons pour mourir, mais ce laps de temps passé comme un éclair sur terre, pourquoi ???  J’aime ces colloques, j’en suis l’orateur avec comme seul public un moi attentif. Je décortique mes acquis (éducation, religion, niveau social, expérience) La remise en question rend souvent furieux les hommes ; pourtant sans ce travail, l’âme s’éteint, le matériel ne prend plus le dessus, le pouvoir se retrouve amputé, on a
jamais vu un naufragé se nourrir d’une une malle de dollars. Le conflit mène à la ruine, le dialogue à l’épanouissement. Alors je converse, je m’étale, je me scanne. Les zones d’ombres j’y rentre de plain-pied, je deviens l’explorateur des zones « inexplored » de mon intime vie. Commetout en chacun j’ai mes fardeaux, la jambe en moins peut-être mais des amputations plus sévères, plus perverses, celles qui ne sont pas appareillables. Ces moments d’isolement me font apprécier à leur juste valeur les pourquoi et comment. Philosophe du caillou perdu, les plus grands penseurs n’étaient ils pas des écorchés vifs au passé si rude. Je me suis lancé dans des lectures redoutables,  bonhomme aux réflexions qui bouleversent et qui rasent le bon savoir. Ma réflexion, moi qui ne suis ni
philosophe et encore moins intellectuel : nous vivons dans un miroir, l’éviter est malsain au possible mais à l’improviste le reflet nous arrivera en pleine gueule, on ne peut fuir tout une vie, on ne peut se mentir sans se flétrir. La pluie continue de chantonner, les sternes de pêcher, le vent de virevolter, demain je reprendrai mon voyage, si et seulement si, les Dieux du vent, des mers et des nomades le voudront bien. Je ne suis qu’un invité sur terre.

Le silence c’est le bruit du temps qui passe…

1 juillet 2012
Instant de pause et de méditation...

Instant de pause et de méditation...

Le feu me réchauffe, le temps s’est arrêté. Le suroît ne veut pas de moi, le golfe de Botnie lui a confié mon âme errante. Leur deal est de me bloquer pour me nettoyer, me laver de trop de poids à porter. Depuis le Yukon je n’avais plus gouté à cette solitude si étrange, si collante, si envoutante. Bloqué dans une minuscule anse, super abritée du sud un peu tempétueux, je suis pris en otage par la vie. Rien à y faire, pas de route, pas d’homme à qui causer, pas de connexion virtuelle, un voyage de l’intérieur profond et intime. Le vent, la pluie m’emmitoufle, je réanime le feu réparateur, j’ai une tâche primordiale prendre le temps
comme il vient. Je n’ai rien à faire, mais alors, j’ai tout à penser ! Je confectionne un banc avec quelques bois flottés happés par une tempête. Je pars à la recherche d’un tronc de pin qui saura tenir le foyer. Un corps de phoque en décomposition gît devant moi, j’essaie
d’imaginer sa naissance, sa vie, sa mort, tout ça pour finir jeté sur une plage de sable. Tient et moi où serais-je à la dernière minute de ma vie. Dans un hôpital intubé de partout, au fond de quelques océans si près de l’épave à trésor, de ma belle mort froid dans mon lit. J’éclate
de rire, à voir la tête déconfite de certains. C’était un mec bien, mais il ne se l’est pas un peu cherché quand même !!! La vie, la mort, la souffrance, quand le silence s’installe, les mots clés surgissent. Plus le temps de fuir, plus de sujet tabou, tout vous remonte à la gueule,
une avalanche d’informations que la surinformation rend boiteuse. Pourquoi se préparer à la mort, il y a le match ce soir. Pourquoi tout mettre à plat, je viens d’être augmenté. Dans quelques années je serai enfin à la retraite. Non je n’ironise pas, je cause avec le silence,
qui s’est assis en face de moi. Il n’a pas besoin de mon feu pour se réchauffer, il m’a trouvé, alors par ce temps froid et humide il m’a enlacé. Une sterne à tête noire se moque de mes pensées ; son travail pêcher pour ses oisillons, elle me fait confiance et s’approche incroyablement, je lui donne un nom : fägel (oiseau en suédois) ! Elle plonge, elle donne la mort à une ablette pour donner force à son rejeton, la chaîne de la vie. Toute la journée elle est autour de moi, un plongeon, un regard. Je crois en la relation homme-animaux et je fais parti de ces privilégiés à qui ils arrivent toujours des histoires incroyables avec eux. Une mésange qui hoche la queue, de jalousie certainement, vient s’intercaler entre Fägel et moi, sur c’est une fille !!! Voilà les amis, il est temps que je rentre sous ma tente à rejoindre mon duvet. La mascotte a lâchement abandonné la méthode assimile en suédois, elle ne supporte pas que le mot gâteau soit traduit par « kaka » !!!
Adjö

Un nouveau voyage commence…

20 juin 2012

la nature a revêti son manteau de pluie

la nature a revêtu son manteau de pluie

Pokka, Finlande, à 550km au sud de Mehamn et à 450km au nord de Luléa. Température de 7° pluie fine et blizzard faible. Je suis dans une cabane comme je les aime, perdu au milieu de nulle part avec le confort minimum, un lit, une cuisinière et un vieux poêle à bois pour sécher le passant en pèlerinage ! Depuis ce matin je roule sous la pluie, mais le cœur  léger, hier la rencontre de Gilles Elkaim m’’a rempli de bonheur, il est rare de rencontrer des personnes qui partagent ma vision de vie.
Au fil des kilomètres je me remémore la tête des jeunes qui nous écoutaient comme si nous nous étions préparés longtemps en avance. Cette vie est rude mais elle donne l’essentiel ; le gout de l’effort de chaque instant est une sorte de lecture d’un vieux parchemin qui renfermerait les secrets des plus profonds. Nous sommes rugueux, rustiques pourtant une sincère envie de partage nous habite. Je n’ai pas été tendre avec Robin et Nicolas, je ne pouvais pas laisser des actes et façons de faire qui me paraissaient hors sujet. Ce matin je suis parti bien avant eux d’Inari et je me demande bien ce qu’ils pouvaient penser du fada qui démontait sa tente malgré la pluie et le froid. Quelques dizaines de bornes plus tard ils me rattrapaient et je devinais en leurs yeux toute la détresse de gamins punis de suivre le grand méchant loup !

Iphone calé sur les genoux pour pouvoir facebooké au moindre réseau, musique « jeuns », ils tentaient l’approche. Mauvais moment pour eux j’étais entrain de fredonner mes vieux airs corses. Je souriais, ils me répondaient par un sourire un poil tendu. Au moment d’un arrêt, ils se soulageaient : Frank ce soir on rentre à Luléa, le GPS a perdu ses repères et nous demande de faire demi-tour, c’est qu’après demain on a l’avion ! Vous inquiétez pas les gars, on est sur la bonne route mais c’est un chemin de traverse qui évite les grands axes trop fréquentés
par les « campigariste » en quête d’aventure « komalamaison » ! VotreGPS, il n’est pas fait pour ça, regardez la carte et vous serez rassuré.
A la pose du déjeuner sous la pluie fine, je les sens joyeux de nouveau de savoir qu’ils seront en ville avec tout ce qui va avec !!! Je me résigne, je ne dis plus rien, mais quel dommage, être au milieu d’un endroit aussi beau et devoir le fuir par manque de virtuel, par addiction du net. Je joue le jeu et plaisante avec eux, nos mondes ne peuvent que s’effleurer.

Au 96éme kilomètres, je stoppe, et demande à Nicolas s’il ne veut pas pédaler avec ma machine. Tout heureux il part sous la pluie faire les 14 derniers kilomètres avant mon arrêt. Je
trouve une cabane n’ayant plus d’âge et essaie de faire comprendre à une vieille dame saame mon désir de dormir ici ce soir. Les jeunes me donnent un coup de main à m’installer et reprenne la route. Leur voyage fini le mien commence.
J’espère de tout cœur que cette initiation leur apportera quelque chose de positif dans leur avenir et que mes coups de gueules teinteront par moment dans leurs têtes pour leur rappeler que seul le présent est un cadeau.

Départ de Mehamn reporté…

13 juin 2012
Une gueule de teigneux le mecton!

Une gueule de teigneux le mecton!

Pluie, brouillard, 4 °, coup de vent annoncé, Tina et Ruan insistent : Demain c’est pire, reste ..! Ok ..!

J’avais prévu de rester jusqu’au 20 juin si le temps ne me permettait pas de traverser en kayak, pourquoi affronter les éléments, le soleil est bientôt de retour, Jo zef connait des chants athapascans pour ça !

La fenêtre de ma chambre domine le port naturel de Mehamn, un comptoir de pêche du bout du monde. J’imagine l’enfant né ici, pas d’arbre, des hivers de glace sans jour, et pourtant ceux que j’ai croisé ont les yeux qui pétillent. S’adapter, ils n’ont pas eu le choix ils se sont adaptés. Le nez collé au carreau je me laisse aller, je vous vois sourire. Oui ça m’arrive ! Je laisse faire mes émotions, je laisse vaquer mes sentiments, la brume m’embrume les idées. Pourquoi, comment, qui sommes nous… Les régions polaires ont la faculté de rendre l’homme petit, humble, quand les éléments se déchainent, le vantard se fera tordre, l’écervelé sera crucifié sur place… Ce matin j’ai eu de la visite, un journaliste norvégien. Ce brave homme ne parlait que très peu l’anglais mais avait une folle envie de connaître un bout de ma vie. Je l’ai déstabilisé en inversant les rôles et c’est moi qui lui ai posé les questions. Etait-il né ici ? Si ses enfants avaient quitté la région ? Que faisait-il de son temps de libre… Finalement il a griffonné son bout de papier et d’ici quelques jours dans le canard local on parlera d’un certain cabochard…

Recherche la vérité dans la méditation et non dans les vieux livres poussiéreux. Recherche la lune dans le ciel et non dans l’étang.

Proverbe persan que j’avais envie de partager…

Je vous ai joint une petite vidéo assez simple que j’ai tournée au moment de mon départ de Slettnes en kayak …

Arrivée dans le port de Mehamn...

Arrivée dans le port de Mehamn...

Photo qui illustrera l'arcticle dans la presse norvégienne...

Photo qui illustrera l'article dans la presse norvégienne...

Entre merle bleu et rouge gorge…

8 mai 2012
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Le comble d’une abeille : Avoir le bourdon pour avoir trop papillonné…

Mai 2007, un sacré printemps ! Le froid est polaire mais l’ambiance est fraternelle, des traineaux trainent, un unijambiste boite, rien de très extraordinaire me diriez-vous ! Que c’est grand le Groenland, que c’est envoutant d’être au milieu de cette immensité. Mon moignon râle du manque de confort, je n’ai plus envie de l’écouter chougner, une vraie mauviette ce Cabochard ! Dimanche, 20 km parcouru et du vent dans le nez, lundi 20 km du vent et du brouillard, mardi 20 km du vent, du brouillard et j’ai mal, ouf ça change un peu au moins ! Mercredi : Dis donc Niko ! Y zont pas voté en France ? Ouais peut-être bien ! On appellera demain pour savoir…

6 Mai 2012, la même tente, un poil rafistolée ! Un bivouac sous des tonnes d’eau, un camp isolé au milieu d’une forêt perdue  en corse. Les torrents ont pris une vigueur digne du Yukon, la pluie est diluvienne mais le bonheur est bien présent. Pas d’eau à courir demain, pas de pont de glace à franchir, pas de trace d’ours à détecter, juste un couple qui ne veut plus grandir, des amants qui vivent intensément l’instant présent car demain sera teinté d’éloignement. Mes départs sont et seront le refrain de ma vie d’aventurier à cloche pied, sur ce coup là je pars pour plus de quatre mois. La Corse et mon petit bateau ne me manqueront que très peu puisque la saison estivale transforme l’île de beauté en parc d’attractions pour urbains en quête d’émotion. Mais ma « Vrai » ne sera présente que dans mes instants de répit. Je ne me plains pas car j’aime ces séparations qui redonnent de la saveur à notre couple, alors j’avancerai le cœur léger…

Ce matin un merle bleu me semblait bien triste, je le voyais déménager son nid « bruni », un rouge gorge qui semblait sortir de l’œuf, venait prendre sa place toute chaude… Je me demande si ça ne cache pas quelque chose ? Le soleil est de retour, les paillasses vont sécher au soleil et pendant que certains s’indignent nous avons décidé de prendre parti pour le torrent car lui ne vole pas comme l’oiseau mais amène l’audacieuse brindille jusqu’à l’océan…

Le comble d’une abeille : Avoir le bourdon pour avoir trop papillonné…

Déprime: refrain des temps modernes.

24 octobre 2011
Rencontre à Kulusuk (Groenland). Nos différences nous unissent!

Rencontre à Kulusuk (Groenland). Nos différences nous unissent!

Si l’occident connait autant de gens sclérosés c’est qu’un mal sournois rode, mais qui est cet ange noir.

Pas une journée où l’on n’entend pas parler de suicide, de règlement de compte avec des violences inouïes. Médicaments, coaching à tout va et le rouleau compresseur broie tout sur son passage. La simplicité a abandonnée notre quotidien et la technologie est devenue notre bâton de pèlerin. Bien fragile comme canne, elle  rend accro-dépendant, un grain de sable et tout va de travers. La violence en fond d’écran, n’effraie plus, on s’y est habitué. La télé, trop pudique d’un téton qui dépasse, ne se gène pas d’assaillir le téléspectateur passif par une violence sans relâche. Meurtres, assassinats, tortures barbares et trahisons entre la soupe et le hachis Parmentier, comme dessert un jeu vidéo de massacre et planqué dans la chambre, une p’tite bataille en ligne avec un inconnu caché derrière son pseudo ! Extérioriser la violence c’est l’anéantir disent les vendeurs de rêves, mais je fais parti des utopistes qui pensent le contraire. Dans la vie de tous les jours il n’y a pas de joker, la mort n’est pas virtuelle, elle est présente à chaque carrefour.  Je suis surpris des enfants qui sans scrupule se promènent avec le revolver en plastique, pas plus que ses jeunes filles habillées en princesse. Pourquoi mentir à ces futurs adultes, ni le voyou et encore moins les palais seront leur futur, la réalité sera plus terre à terre. Pourquoi ne pas amener les gamins dans la nature à la découverte de son « morceau de vert ». Un poète des temps moderne a sorti un livre sur la faune et la flore intra-muros ! Oui nous avons tous besoin de rêve, mais il faut qu’il soit accessible. L’impossible tue à la longue. Derrière tout ça se cache le dragon à 7 têtes : G7, la surconsommation. Créer le besoin pour rendre accro le consommateur, s’asseoir sous un arbre pour causer avec les oiseaux ne remplit pas le caddie. Dormir à la belle étoile plutôt que vouloir ressembler à une star, parler de nos différences plutôt que d’en faire des barrières infranchissables. Oui je suis chanceux de pouvoir le faire, mais s’en donner les moyens est à la portée de tous. Dans les anciens peuples du Grand Nord tous les événements dans une vie sur terre étaient considérés comme des expériences uniques. La naissance d’une enfant, n’avait pas plus d’importance que la mort d’un aïeul, quand le dentiste passait pour la visite annuelle on se réjouissait de voir quelques « quenottes » sauter car c’était une expérience de vie. Philosophie de vie, de personnes sans instruction, mais qui n’étaient pas bousillés par le TGV de la surconsommation. Les bons penseurs leur ont porté le « confort » et depuis quelques années ses régions connaissent un taux de suicide ahurissant. Chaque fois que je décroche d’ici, le retour est brutal. Quelques heures sans connexion, et la sérénité pointe le bout de son nez. En offrant les stages de plongées Bout de vie je vois comment en les déconnectant ils trouvent des réponses à leur soucis.

Vous avez tous connu une soirée de « black out » électrique ! Les bougies sont ressorties et les conversations vont bon train, les plus chanceux allument la cheminée sans vitre et cette veillée restera inoubliable…

Ce billet n’est pas moralisateur, un petit envoi de maquis Corse pour vous donner envie de tout couper ce soir et deviner de quelle direction vient le vent…