Silence et sérénité

26 juillet 2017

En train d’arriver à Qeqertaq, avant de me sentir mal…

 
Pas une ride, le calme plat, juste le vacarme des icebergs qui explosent et quelque part sur une plage, un nomade qui ne fait rien. A moins que ce soit le contraire, un homme qui vagabonde le monde car il est tout simplement vivant. Le silence mène à la méditation, à la confrontation avec soi même, à écouter ce qui nous entoure et ici c’est le silence absolu. Des nuages de morues déambulent à tir de lancer, alors la cuillère vole pour toucher l’eau, affolement de la troupe, une proie vient troubler leur procession. Une plus vivace, plus audacieuse, plus folle, gobe le leurre. En douceur, je la ramène à terre, j’ai l’impression de me voir avec Dame Nature, un claquement de doigt et c’est fini, alors sagement, je lui retire l’hameçon, l’embrasse entre ses deux gros yeux globuleux et la remets à l’eau. Il faut être bon joueur, elle aussi a droit à son joker. Mais au loin, un bruit de fond m’interpelle, oui c’est ça le petit point au large, au milieu des icebergs, c’est bien une baleine. Le silence dévoile ses trésors et j’en suis le seul témoin. Le soleil est au rendez-vous, la chaleur prend du grade un bon 12° à l’ombre, 30° dans la tente, la canicule !
 
En face Qeqertaq, mes habits sentent le rat mort, mon coup de mou des jours passés m’a fait transpirer d’une manière malsaine. Le kayak complètement vide, je vais traverser le golfe. Je confie le camp à Jo Zef et lui donne les consignes : si un ours s’approche, tu siffles !  Filant comme une balle, je cherche la baleine mais le champ de glaçons m’empêche de la voir. La maison commune est vide mais ouverte, alors je décrasse, j’en avais le plus grand besoin… Le bureau pour une connexion internet est fermé, dommage. Vers 13h, je suis de retour à la maison, ouf pas de passage, la mascotte a fait un bon boulot. Sur la route, j’ai rencontré Ben et ses clients, ils avaient leur camp à 1km plus au nord. Il m’avait vu et était venu à ma rencontre pendant mon coup de mou. Un sacré bon gars qui amène les touristes aventuriers au bout de leur rêve. Si le voyage vous tente, il bosse pour l’agence 66°Nord qui a organisé les vols entre le sud et le Groenland pour Bout de vie. On se reverra j’en suis sûr. Malgré le vent nul, les moustiques sont tranquilles, ce ne sont plus des millions mais quelques audacieux, qui tentent l’appontage mais sans succès. Je monte le tarp pour donner un coup de frais à la tente, une petite radio m’accompagne et, à quelques encablures d’un village, je peux écouter des musiques groenlandaises.
 
Le voyage est en mutation, d’une course contre la montre, toujours plus nord, il devient réflexion, pause, découverte. Le temps s’offre à nous, les nomades du grand nord. Mon corps m’a donné une leçon, la glace et le vent aussi. Décidément, ici c’est l’école de la vie sans livre, du mystique sans livre sacré, du pèlerinage sans monastère. Demain, tout neuf et frais comme une morue remise à la mer, nous allons lever le camp pour la rencontre d’un autre coin, d’une autre plage, d’autres rencontres, d’autres émerveillements…
 
A pluche

Un voyage immobile…

4 septembre 2013

Peut-être la couverture du prochain livre, le destin le dira!

Peut-être la couverture du prochain livre, le destin le dira!

Bonjour à tous me voilà de retour après deux mois de vie d’ermite avec un entracte d’une semaine au Festival des Diablerets. Deux mois où j’ai pensé, prié, écrit. Le retour est très difficile mais il faut retrouver les « autres » car l’isolement peut-être dangereux une addiction qui peut mener à la folie. Des dizaines de pages se sont écrites à mon insu, elles viendront étoffer mon carnet de voyage de ma dernière expédition Arcticorsica. Peut-être un livre en vue… Rien que pour vous la dernière page.

Une page est tournée, mais le livre est là:

Entre eau et feu :

Mais quel est  le plus mélodieux, le susurre du torrent ou le crépitement de l’âtre, les opposés souvent sont complémentaires, l’un ne peut vivre sans l’autre. La terre noire embaume l’espace, l’orage a le pouvoir d’être un diffuseur d’arome garantie « naturelle », l’automne a envie de côtoyer le camp du voyageur immobile. Le chêne vert, le laurier thym et les arbousiers reçoivent leur premiers fruits, les guêpiers d’Europe mettent le cap au sud, le cycle de la vie est précis pourtant il n’a pas d’agenda ou de tablette. Tout s’enchaîne sans explication, sans but, pourquoi l’homme s’en est il détaché à ce point. En ce début d’arrière-saison, j’ai cette étrange perception de ressentir des ondes encore plus positives, le rush de l’été est déjà un souvenir, l’île retrouve doucement une paix profonde. Je ne pourrais décrire cette vibration mais  mon intuition est sincère,  le mouvement d’une immense foule, qui ne peut et ne veut oublier l’espace de quelques jours sa violence et détresse, émet une oscillation obscure que j’arrive à percevoir malgré tout. Ici je suis très loin de la ruche estivale mais pourtant mes sensations perçoivent ce mal-être. Mes rares incursions hivernales urbaines m’épuisent, me peinent, la fourmilière semble sur le bord de l’explosion, pendant 355 jours il en est ainsi, comment pourraient-ils changer en 10 jours de plage « corsée » ! L’exode vers les villes, vide la moyenne montagne, les villages se meurent, la vie citadine les achève. La chanson de Ferrat est toujours d’actualité, pourtant les lucioles risquent le tout pour le tout ; la « ville ». Ces jours passés ici ont été, sont et seront les plus beaux jours de mon existence, le vide m’a fait découvrir que je souffrais de vertige, des tremblements impromptus quand le silence et l’inactivité venaient s’asseoir en face sur les bords de mon abysse. Les essentiels de la vie « normale » deviennent futiles, l’infiniment petit et basique se transforment en indispensable. L’âme prend un autre chemin, le cœur ne bat plus pour une  seule personne, mais pour toute, l’amour n’est plus un objet purement ego-perso mais universel, il suffit de se laisser guider, de faire confiance, le lâcher-prise est une chute libre vers son fondamental, vers l’unique sens de notre vie. Mes doutes sont toujours là mais ils ont beaucoup moins de place, mes souffrances sont enfin comprises, le torrent m’a tout expliqué. La terre m’a donné l’essentiel, je sais maintenant d’où je viens. Nationalisme, croyance, pouvoir, haines comblent la peur du vide, du silence et de la solitude. La vie d’ermite m’a ouvert les yeux sur un « Frank » que je ne connaissais pas, d’ailleurs personne n’aurait pu me le présenter, il n’existait pas avant cette expérience. Il n’y a pas un individu qui soit capable de donner des leçons ou des prédications, les écrits censés donner la voie, sont des parchemins tronqués, la sainte parole se trouve au fond de nos doutes. J’ai creusé en silence au fond d’un « je » inconnu, la peur m’a envahi, on m’a fait croire tellement de balivernes. Quand les orages ont éclaté et que ma vallée est devenue noire, lugubre, j’ai senti et deviné une lueur là-bas au loin. Malgré la terreur, j’ai poursuivi sans me retourner, la corruption est maline, elle sait charmer mais droit devant la chandelle vacillait, elle m’attendait, elle porte un nom, mais ça c’est mon secret ! Mon voyage touche à sa fin, je vais retrouver les autres, vous peut-être, je n’ai aucun conseil, aucune théorie sur ce bout de vie passé. Ma route est tracée, j’ai des supers guides, il ne me reste qu’à leur faire confiance, ils m’accompagneront vers « ma » vérité. Etre un homme libre est un rôle des plus difficiles à endosser, les sirènes se font un malin plaisir à déstabiliser le nomade à cloche-pied, mais cette vie de reclus m’a offert une armure, un bouclier. Certes je suis devenu encore plus sauvage mais la peur des autres s’est atténué, mes réactions me font moins peur. Comme dans le conte des Milles et une nuit, je suis devenu Shahrazade. Elle était condamnée à mort par son nouvel époux démoniaque qui au lendemain de chaque noce faisait décapiter sa nouvelle épouse de peur qu’elle le trompe. Elle lui avait inventé une histoire fascinante, qu’elle lui racontait chaque soir par petit bout, ce stratège lui permis de vivre, malgré la folie de ce maniaque. Je suis condamné à mourir comme tout en chacun mais cette expérience m’a offert de nouvelles belles histoires à vivre, alors le jour dernier semble reculer un peu. Ma force n’est plus dans un record ou une première extraordinaire, ma force est ma paix intérieure…

C’était le carnet de voyage d’un homme libre.

Invite sur terre…

10 juillet 2012
Jo Zef et moi au chaud et à l'abri dans notre petit refuge...

Jo Zef et moi au chaud et à l'abri dans notre petit refuge...

Le baromètre qui chute et rien qui ne se passe, ce n’est pas normal ! Je marmonnais ça dans ma parka depuis quelques jours mais cela me semblait louche. Ouf, me voilà rassuré, le coup de vent est bien arrivé. De grosses rafales et une forte pluie m’ont fait prendre la sage décision de ne pas m’engager en mer ce matin. Découvrir ses limites, d’accord, les dépasser jamais. Emmitouflé dans mon duvet, j’apprécie la pluie tapoter la toile, je mets la radio Mix Mega Full, une sorte de Nostalgie Suède avec une touche d’Energie, mais Frankie goes to hollywood ou les Queens ne valent pas la mélodie de la tourmente qui m’enveloppe, alors je coupe. La différence entre la musique et le bruit, l’émotion qu’elle nous offre. Seul sur un îlot de 100X400 mts je suis devenu robinson. Mais où est mon vendredi se demande Jo Zef ?  Le temps prend une autre forme, une alchimie interne. Aucune information du monde qui s’agite ne peut m’ébranler, couper des hommes virtuels et non vertueux, je suis simplement, un petit « moi ». Ces moments sont des  privilèges immenses, ce n’est pas l’arrivée qui compte mais le chemin qui y mène et sur ma route ces arrêts tempête me ressourcent, me font cogiter. Il y a eu le minéral, le végétal, l’animal et enfin l’homme. Ce dernier et j’en fais parti, s‘est parasité de millions d’indispensables. Nous en sommes les esclaves. Le monde qui ne sait plus que conjuguer au futur, a avalé, englouti le présent ; le vide fait peur. Pourtant une bouteille pleine ne pourra jamais ramener l’eau de la source qui jaillit là haut sur la montagne. Le vent fait plier mon bivouac, mais je suis serein, heureux de pouvoir être cet habitant improbable du caillou si isolé. Ce voyage comme les autres est une initiation, un apprentissage infini, nous naissons pour mourir, mais ce laps de temps passé comme un éclair sur terre, pourquoi ???  J’aime ces colloques, j’en suis l’orateur avec comme seul public un moi attentif. Je décortique mes acquis (éducation, religion, niveau social, expérience) La remise en question rend souvent furieux les hommes ; pourtant sans ce travail, l’âme s’éteint, le matériel ne prend plus le dessus, le pouvoir se retrouve amputé, on a
jamais vu un naufragé se nourrir d’une une malle de dollars. Le conflit mène à la ruine, le dialogue à l’épanouissement. Alors je converse, je m’étale, je me scanne. Les zones d’ombres j’y rentre de plain-pied, je deviens l’explorateur des zones « inexplored » de mon intime vie. Commetout en chacun j’ai mes fardeaux, la jambe en moins peut-être mais des amputations plus sévères, plus perverses, celles qui ne sont pas appareillables. Ces moments d’isolement me font apprécier à leur juste valeur les pourquoi et comment. Philosophe du caillou perdu, les plus grands penseurs n’étaient ils pas des écorchés vifs au passé si rude. Je me suis lancé dans des lectures redoutables,  bonhomme aux réflexions qui bouleversent et qui rasent le bon savoir. Ma réflexion, moi qui ne suis ni
philosophe et encore moins intellectuel : nous vivons dans un miroir, l’éviter est malsain au possible mais à l’improviste le reflet nous arrivera en pleine gueule, on ne peut fuir tout une vie, on ne peut se mentir sans se flétrir. La pluie continue de chantonner, les sternes de pêcher, le vent de virevolter, demain je reprendrai mon voyage, si et seulement si, les Dieux du vent, des mers et des nomades le voudront bien. Je ne suis qu’un invité sur terre.