Du Camp des Solitudes…

8 septembre 2019

 

Le camp des Solitudes. Ce petit bout de maquis si isolé, que je n’y ai jamais vu personne, sauf mes hôtes et ils sont rares.  C’est là où je dis au revoir à mes amis les « anges gardiens », quand je pars pour longtemps barouder au bout du monde. C’est là encore où je reviens en premier leur raconter comment étaient les qivitoqs qui ont bien joué avec un boiteux un poil têtu. Ici je me sens bien, apaisé, comme si plus rien ne pouvait m’atteindre. Il est situé à quelques kilomètres à vol d’oiseau, des plages encore sur fréquentées, du bruit, des choses qui à mes yeux n’ont pas leur place en bord de mer. Comme je ne peux rien changer, c’est moi qui transhume !  Déjà deux mois où je suis parti, deux petits mois pour partager, offrir un peu de liberté à ceux qui n’ont pas encore ma chance de réaliser leur rêve. Là-haut sur la terre du grand Nanoq, ils sont venus écouter le silence, comprendre un peu plus la beauté de la nature. Ne leur dites pas qu’ils sont courageux, ils vont se moquer de vous, c’est sur. Ils sont vivants et ça ils le savent.                                                                                                                                          Je repense à mes escapades solitaires puis à celle avec ma compagne, un vrai délice. Et puis ce fameux Mont Blanc, sans aucune préparation, avec une prothèse qui m’a laminé le moignon pendant 2 longs mois. J’ai réussi cette « put… » de traversée par les 3 monts sans que je comprenne encore maintenant comment j’ai pu faire. Mais voilà comme dirait Bastien : Mont-Blanc fait !!! MDR  

 Devant le feu ce soir j’ai le temps de repenser, de dérouler le film de cet été polaire, j’imagine comment décrire au mieux les paysages boréaux pour ceux qui ne connaîtront jamais le Groenland, à ceux qui se sont emprisonné dans une vie virtuelle. Je peux enfin écouter la radio et la comprendre, je peux surfer sur le net… Mon dieu, mais quel gâchis ! Tout se mélange, tout se contredit, les paradoxes s’entrechoquent ! Je critique le virtuel et j’écris un billet sur mon blog que pourra lire le terrien du bout du monde. Je fuis les écrans et j’anime une page Facebook, pour passer mes messages, mes humeurs, mes colères, mes joies. La perversité de la vie nous rend addict, nous emprisonne, mais j’ai encore la chance de pouvoir le gérer, de le ranger par moments au fond du coffre de mes contraintes. Le camp des solitudes me rattrape, ses anges gardiens aiment bien me bousculer, je redeviens le petit garçon perdu dans la forêt. Alors j’écris, je prends des notes et un malin plaisir à me moquer. Dans certains stages de survie, je passe par le camp des solitudes, mais je ne fais que l’effleurer, ici c’est trop personnel, trop mon « moi » pour le livrer. Une nuit et hop il me faut vite le libérer. J’ai essayé d’y amener du monde pendant plusieurs jours mais je me suis senti pris au piège d’un partage impossible. Ce coin je l’ai sué, j’y ai versé mon sang à plusieurs reprises, les blablas, le bruit des pas des autres m’est difficile à encaisser. Ce soir je crois l’avoir compris vraiment. Oui ici c’est une partie de mon âme, je n’aime pas qu’on se l’approprie, pourtant c’est moi qui les ai amené, c’est moi qui ai essayé de leur transmettre ma vibration. J’y ai vécu plusieurs mois d’affilée seul pour écrire mon dernier bouquin « Carnet de voyage d’un homme libre », j’y ai beaucoup réfléchi, on me prend souvent pour un dingue. J’aime me qualifier d’ « extra-merrestre ».Ancien habitant de la mer, devenue trop fréquentée et qui a déménagé au fond d’une vallée perdue. Oui bien des choses ont changé, évolué depuis la découverte de ce petit coin de paradis. Ce soir la lune joue à cache-cache avec de gros nuages noirs, ce soir un petit feu me réchauffe, me reénergise, je me sens vidé, cuit juste envie d’être là parmi eux mes « anges-gardiens ». Envie d’être égoïste, envie de silence immense, envie de vie rustique, envie de m’endormir là au milieu de ceux que les autres appellent : lieu sauvage !

Deux jours sont passés, deux jours rien que pour moi. Chut c’est mon secret. Demain je repars pour transmettre par le biais des conférences, des films, des écrits. Je vais poster des messages sur les liens sociaux, accepter mais juste un peu, ceux qui me diront qu’ils savent ce que j’ai vécu, ceux qui croient connaitre mes secrets ?   Oui je ne vais pas me refaire, je suis un cabochard têtu comme une vieille mule corse mais paraît-il très attachant. Lisez mon dernier bouquin, de toute façon j’ai bien compris que cette histoire était devenue la vôtre…

Takuss.

 

Le retour

11 septembre 2017

Le petit village d’Oqaastut est déjà dans mon sillage, en transit à Ilulissat, les avions , qui d’avance ont déjà du retard ,vont me mener vers une autre cabane, où je vais retrouver avec joie tous mes potes et peut être encore de la chaleur. Darwin disait: Ce ne seront pas les plus forts, ni les plus riches qui survivront mais ceux qui s’adapteront.  Cette leçon est ma devise depuis bien longtemps alors je vais m’adapter à une existence méditerranéenne, le soleil, l’eau de mer chaude et le monde un peu partout, mais c’est aussi ça la vie, alors j’y vais en chantant. Ce soir le temps me manque pour vous dire merci de vos messages, de votre soutien, régulièrement vos missives m’arrivaient par mail satellite, cela me faisait souvent sourire, cela me réchauffait quand la solitude et le vent du nord me glaçait les os,  je suis heureux et fier que cette aventure fût aussi un peu la vôtre. De ma cabane en Corse je vous ferais un petit briefing de ces 3 mois passés en terre Groenlandaise.

Takuss

1er jour de septembre

1 septembre 2017
 
La cabane est bizarrement silencieuse, le froid lui se moque des émotions, il suit son petit bout de chemin en saupoudrant de neige les sommets des alentours. La pluie rend la journée plus triste qu’elle ne devrait l’être, la vie n’est faite que d’arrivées et de départs, de débuts et de fins. Karin est partie tout à l’heure, le premier transfert fut en bateau, une traversée équivalente à Bonifacio, Santa-Térésa en Sardaigne. En Corse, dans les Bouches de Bonifacio, nous sommes rodés aux vents violents, ici, avant d’arriver, je souriais quand on me parlait de coups d’air au Groenland, avec des pointes en été à 20nds ! Mais quelques facteurs majeurs me manquaient pour comprendre. La glace, le froid, les courants violents contraires et les aléas de marée. Sur ma belle île méditerranéenne, un grand frais se gère sans problème, Karin et moi-même avons fait plonger les touristes avec des tempêtes force 10, il suffisait juste de trouver le bon spot protégé du vent et c’était tout. Ce matin, des averses de neiges rendaient la navigation douteuse, la houle de sud nous ballotait dans tous les sens et les couloirs de vents contraires nous frigorifiaient le visage. Une sortie de plus au milieu des icebergs mais toujours aussi belle et puissante.
 
A l’aéroport, les quelques passagers attendent, la plupart sont des étrangers, tous ont le nez sur leur écran ! Dans deux semaines, je vais rentrer en Corse, l’adaptation sera à l’inverse de mon arrivée, mais ce trimestre groenlandais m’a déconnecté de tout le virtuel, du confort qui rend esclave, qui nous fait perdre le contact avec la nature, avec le silence, ce contact qui nous envoie à la face les doutes, en nous offrant le temps d’y réfléchir. Une dame groenlandaise  me rassure, c’est la seule avec moi dans la salle d’attente à ne pas avoir d’écran, elle tricote, l’hiver est en train de retrouver sa place, son ouvrage protégera peut-être un chasseur, un pêcheur, je ne le saurais jamais. Le cœur serré, ma belle allemande grimpe dans le bimoteur pour Copenhague via Kangerlussuaq.
 
Je fais quelques courses en ville, des aluu passent de ci de là, du monde commence à me reconnaître, je me sens moins étranger, mais pas du tout encore intégré, il va falloir que je fasse encore beaucoup d’efforts pour comprendre la culture esquimau. A la coopérative, une combinaison de pêche est à ma taille, cet achat est plus que nécessaire, le froid est un passager clandestin qui rend la navigation compliquée. Emmitouflé dans cet habit fait pour la navigation polaire, les onglets ne me prendront plus en traitre. Orange fluo, en plus en cas de pépin, je serais encore plus facilement repérable. Seul, je reprends la mer. Le vent d’est, bien que de terre, lève un bon clapot, les petits bouts de glaçons sont des pièges à hélice, il me faut slalomer sans cesse. Oqaatsut et sa baie sont calmes. Comme à son habitude, le gros bateau Artic-line fait relâche sur le vieux ponton du port, des madriers, des poutres, des lambourdes, des rouleaux d’isolant, des caisses sont débarqués… Peut-être que les œufs, absents depuis un bon moment, sont en soute; la mascotte espère bien pour sa pile de crêpes !
 
Me voilà de retour à la cabane, je stocke le frais dans la grande bassine remplie de glace et retrouve le silence de la belle cabane avec vue sur la baie de Disko. Ce soir, une mélancolie s’empare du gros dur que certains voient en moi. En bon écorché vif, l’horizon me rassure, je ne fuis pas les hommes, je les observe, ils me font quelquefois saigner. Ces presque 3 mois de vie polaire m’ont encore plus rapprochés de l’essentiel, comme un moine en monastère himalayen, ce ne sont pas des mantras qui m’ont enseigné, mais des conditions de vie, moins aisées, plus rustiques. Comme après chaque grosse expédition, il va falloir que je digère tout ça. Il me reste encore quelques jours ici, je vais tout prendre ce qu’il y a à prendre, pêche à la morue, oursins, moules, balade avec les baleines, rencontre des phoques, rando en tête à tête avec la solitude et m’assoir pour juste aimer encore plus le monde… Vive la vie, même avec un bout en moins, l’important est de ne jamais boiter dans sa tête…
 
PS : Norra est rentrée aussi, ce soir Jo Zef réintègre mon sac de couchage, sacré mascotte.
 
A pluche.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

Camp de la chance

25 juillet 2017
 
Depuis hier matin, il me semble avoir vécu plusieurs vies. Donc, hier je pars de la micro baie qui me protège, le vent d’est est déjà en place, mais je sais que derrière, la montagne de glace va faire un beau rempart contre le vent. Me voilà dans la forêt d’icebergs. Trouver le passage est un métier de devin, mais pas à pas je sais que ça va passer. En longeant la côte, les milliers de glaçons lâchés par les icebergs qui pètent font une barrière dense, prendre trop au large me mettra dans un tapis roulant de vent et courant contraire. L’unique solution à mes yeux et mon expérience en glace de nouveau né, c’est de slalomer !  Oh mon Dieu, comme je suis petit au milieu de ces titans. Quand je suis trop près j’accélère, de 3,5km/h, je passe à 5km/h en puisant une énergie pas possible. Deux heures de grosse concentration pour enfin me libérer.
 
Le petit village de Qeqertaq est enfin devant moi. Je dois réparer l’une des roues de mon chariot qui me permet de sortir Immaqa de la zone de submersion en cas de rupture de gros glaçons. Une petite baie sert de mise à l’eau pour les pêcheurs du village, mais c’est aussi là où on jette ce qui est cassé, je reste très prudent. Le kayak en sécurité, un esquimau me trouve le jeune punk du village qui détient le local magique. Mais à mon grand désespoir, cela semble plutôt une poubelle ! Au milieu de vieux pneus de quad, pas le moindre outil pour déchausser mon pneu, il va falloir y aller tout en force… Beaucoup de système D et une bonne heure, me voilà en place, mais quelle énergie ! L’un des copains des jeunes est venu nous soutenir, mais je sens que quelque chose ne tourne pas rond, j’ai des sueurs froides.
 
Il me faut trouver les nouilles chinoises que je n’ai pas  trouvées à Saqqaq et deux litres d’essences pour mon réchaud. A la douche, je me détends mais je commence à avoir des vertiges. Il me faut reprendre la mer au plus vite, juste en face à 5km, une belle plage sera mon havre de paix. J’ai chaud, alors j’enlève des couches. Je n’ai pas mangé depuis ce matin et chose étrange je n’en ressens aucune envie. Les derniers mètres n’en finissent plus, il y a quelque chose qui ne gaze pas. A peine Immaqa beaché, je pars pour uriner et là d’un coup, comme un coup de fusil, je m’écroule, je tombe dans les pommes, l’amarre de mon pauvre kayak simplement posé entre les moules d’une marée exceptionnellement basse. Une dalle plate m’a amorti, mais rien à  faire, je suis KO. Combien de temps, je ne sais pas mais ces secondes m’ont parues interminables. Titubant, je récupère mon amarre pour la doubler et la fixer sur un gros caillou, l’effort est surhumain, mais notre vie est en jeu. Une fois cet effort énorme pour le cadavre que je suis devenu, une dalle plate me permet de m’allonger de tout mon long, à ce moment là, burn out, je m’évanouis. Quand je reviens à moi, la marée est montée d’un cran, il me faut décharger mon barda et tout mettre en place. Des sueurs froides me saisissent, des millions de moustiques s’acharnent sur moi, j’ai vraiment l’impression d’être rentré en enfer. Une heure et demie pour tout monter, tout sécuriser, je m’écroule sur une dalle pour une troisième couche, je repars dans le cirage. Cette fois, cela a duré plus longtemps. Les moustiques n’ont pu attaquer ma tête couverte d’une moustiquaire, mais ils se sont acharnés sur mes mains, elles ont doublé de volume…
 
Je bois, je sens qu’il faut que je boive. Puis vers le nord, je vois un bivouac, il y a du monde je suis sauvé. Je hurle comme je peux, ils m’ont entendu, je suis sauvé… Xavier et Birte sont à mon chevet, il est médecin, une chance sur un million et il est là, à mes côtés. Son diagnostic est sans appel, malaise vagal. Depuis un moment, je me suis restreint en me mettant en sous alimentation, puis à Saqqaq j’ai remangé à ma faim, un bon chasseur m’a offert 2 kilos de phoque que j’ai englouti, mais toute la nuit j’ai été malade comme un chien. Puis j’ai repris ma route et là, à ma dernière escale j’ai fait une razzia sur les moules et de nouveau mes intestins m’ont expliqué la vie. Bien sûr, il y a aussi une énorme tension que j’ai accumulée, une pression de mon invention qui m’a mis à genou.
 
Ce matin, j’ai retrouvé la forme, je peux tenir debout. A midi, un bouillon de légumes m’a fait du bien. Mes nouveaux amis Suisses ont été à mon chevet, je ne sais comment les remercier. Aujourd’hui, en papotant, nous nous sommes aperçus qu’il y a 4 ans, nous avions communiqué par mail. Il avait fait le tour de la baie de Disko en kayak et j’étais rentré en contact avec lui pour glaner quelques infos, le monde est vraiment petit. Une fois de plus, ma bonne étoile ne m’a pas lâché… Demain je vais rester sur zone pour récupérer à 100%. Tout rentre dans l’ordre doucement. Mes anges gardiens c’est vous aussi. Merci de vos pensées, cela m’aide, me touche…
Vive la vie

Interview Radio France Bleu lundi 24 juillet 2017

24 juillet 2017

Comme chaque lundi, nous retrouvons Frank Bruno Officiel, en direct du Groenland…

Publié par France Bleu RCFM sur lundi 24 juillet 2017

Libre, enfin libre

23 juillet 2017
 

Sommet

22 juillet 2017

Camp des victoires

21 juillet 2017

A contre courant

17 juillet 2017
 

Tempête

16 juillet 2017