Cap des courants contraires
21 août 2017Le ressac cette nuit est venu nous expliquer la vie du large, la mise à l’eau va être compliquée. Le kayak de Karin est très stable en mer mais beaucoup moins pour s’enfiler dans l’hiloire. L’exercice de cirque va donner le tempo d’une journée de mer. Un bon clapot nous prend à froid, la brise de nord semble établie à 10nds et tout autour de nous, les montagnes sont blanches de neige de manière incroyable pour la saison. Pas plus de 4° à l’abri du vent, avec une mer à la même température, la faute serait impardonnable. Le courant est dans le sens du vent mais là-bas au cap, tout semble différent, la mer est désordonnée, nos embarcations sont malmenées, je me sens énormément coupable d’engager Karin dans cette machine à laver en mode essoreuse. Nous sommes côte à côte, je la surveille d’un œil, son bateau part au surf, elle arrive à garder le cap, son expérience de mer est un gage de sécurité supplémentaire. L’océan en région polaire est très peu salé, il manque de la densité à la teneur en sel de la mer pour l’écraser, nous sommes ballotés dans tous les sens. Je suis en mode commando, je prie tous les saints pour que ce terrible cap soit vite passé, être à deux me rend encore plus tendu, sans moi je sais qu’elle ne serait jamais là ! Finalement nous passons sans mal, il nous faut reprendre des forces. Pour me rassurer, avec son bel accent munichois, elle me dit : Tu sais, pendant 30 ans j’ai fait plonger des touristes au large de Porto-Vecchio dans toutes conditions de mer, aujourd’hui c’est facile, je n’ai que moi à gérer !
Sur cette vérité, nous essayons de trouver un coin sans ressac pour la pause café. Au fond d’un fjord, un accès plus ou moins convenable semble pas mal pour poser nos kayaks. La marée est descendante, il faudra être prudent avec la nature du fond et là où nous sommes, ce sont des amas de gros cailloux qui nous surveillent… Le coin est à l’ombre, j’ai les mains qui me font terriblement mal, elles sont anesthésiées par le froid et le sang reprend son flux au bout de mes phalanges qui semblent exploser… A l’abri du vent et au soleil, on se refait une santé.
En grimpant les cailloux, nous avons remarqué au côté nord de la baie, un bateau solidement amarré, avec une petite tente pas trop loin. Sera-t-elle habitée, y aura-t-il quelqu’un dedans? Nous n’osons pas nous en approcher. Alors que nos cafés fument dans nos bols de thermos, un petit homme tout sourire vient à notre rencontre. Il nous lance le traditionnel kaffimik, et nous voilà invité par un pêcheur. Sans parler, il fait signe à Karin de rentrer dans la tente à l’abri du vent et nous verse un café sucré à volonté. L’échange est basique, mon groenlandais est très faible pour pouvoir échanger correctement mais nous sommes bien ensemble. Ces périodes de pêche seul sont de 10 jours, il pose des palangres appâtées aux ammassat… Puis de sa poche de combinaison de haute mer, il sort avec précaution un iphone, la technologie, même ici a sévi. Les photos s’enchainent, sa mère, sa fille, son village, sa maison… Ses rires nous enchantent, quel beau partage. Ole est un gars de l’océan, son au revoir nous rend nostalgique, la dureté de la mer, même avec la barrière de la langue nous à réunis pour un très beau bout de vie. Non sans difficulté, nous remettons à la mer nos kayaks, le vent maintenant est dans le bon sens, il nous ne restera plus qu’à trouver un beau coin pour le bivouac du soir. Une grosse casserole de moules énormes sera le cadeau final de cette belle journée de mer…
A pluche.
Escorté par les baleines
6 août 2017Brouillard, calme plat, Immaqa cherche la passe pour quitter ce havre de paix. En face, là-haut sur une crête, le renardeau m’observe, ah quand le reverrais-je ? Jamais certainement… Il me faut traverser devant le détroit de la grande mer intérieure Pakistup Ilordlia, la passe est moins mouvementée qu’avant-hier, nous sommes à marée haute. Je ne sais quel moustique m’a piqué mais j’ai voulu voir si je pouvais naviguer là dedans, une vraie idée de génie ! A peine j’embouque le goulet que je me sens aspiré mais d’une force terrible, l’océan est en train de rentrer dans ce trou à rat et moi, le rêveur de service, en train de me laisser perdre. Il me faudra une énergie folle pour en sortir, parfois je me demande si je ne vais pas un peu me les chercher. Sorti du flux, je peux observer la côte intérieure qui est abrupte, que de hautes falaises se jetant dans la mer, aucun moyen d’accoster. Remis de mes émotions, je scrute la brise qui va me balader aujourd’hui, elle semble dans le bon sens…
Après la pointe Sarfaq, j’ai l’option droit vers le sud-ouest mais au large ou alors raser la côte doucement. Mon choix sera entre les deux, pas trop près de la rive mais assez loin pour choper le vent portant et gagner du terrain. Bam, là devant moi, maman et petit côte à côte, juste pour l’équipage d’Immaqa. Deux baleines enfin se laissent un peu approcher, si près que le baleineau, curieux du « truc » rouge qui flotte, vient nous tourner autour, à un moment, j’ai failli avoir le tournis !!! Un cadeau matinal qui m’a enchanté, ici si les conditions sont perpétuellement extrêmes, elles réservent toujours des surprises fabuleuses.
Le golfe de Pakitsoq ne m’inspire que peu de confiance alors je ne traîne pas, plus vite j’en serai sorti mieux ça vaudra. Pour une fois depuis 47 jours, le courant est en notre faveur, régulièrement je cesse de pagayer pour voir si je ne rêve pas. Non, nous sommes portés. Là où il m’a fallu 6 heures il y a 2 jours pour le pénétrer, il me faudra aujourd’hui 2h30 pour en sortir. Tout au long de cette «croisière» polaire, à quelques 500 m, maman et bébé m’escortent. Le silence est tel que j’entends tout de leur respiration, de leur «conversation», elles doivent dire : qui sont ces bancals avec le truc rouge, qui nous regardent sans cesse ?
Au cap Niaqornaq, nous prenons une route sud, le courant est toujours en notre faveur et la mer est sans une ride, un vrai délice de naviguer aujourd’hui. L’eau à la pointe est très claire et le fond s’offre à ma curiosité, jusqu’au moment ou des centaines de morues, à quelques mètres sous nos fesses, sont en train de nous regarder passer. Là, à 10 m, une roche plate, ce soir Jo Zef, poisson frais ! Le kayak bien assuré, il me faudra un seul lancer pour assurer les protéines pour au moins deux repas. Ici tout est extrême, la richesse de cette mer est incroyable, à croire que seul ici l’homme n’a pas trop d’impact sur la nature. En bas, dans la fourmilière du sud, ce capital serait pillé ou alors protégé par des parcs marins gardés qui sont devenus des parcs d’attractions surfréquentés.
Les gros icebergs ont réapparu, le protocole de sécurité reste le même, surveiller leurs explosions pour éviter les vagues de submersion au débarquement… En face de notre étrave, une belle île semble avoir de belles dalles plates qui pourraient servir pour sortir en douceur Immaqa. Tranquillement, je pose l’étrave sur un caillou plat et décharge le matos. Mon moignon reste toujours très douloureux, le premier voyage est un calvaire, mais entre vous et moi, je ne crois pas que ce soit le lieu pour se plaindre. Vite fait, j’entreprends le tour de l’îlot, l’endroit est parfait. J’ai bien fait hier d’embarquer 5 litres d’eau potable, sur ces écueils il n’y a aucune possibilité de faire le plein. Au moment de monter la tente, un coup de vent énorme se met en place, je suis obligé de faire «l’indien» pour fixer le camp sans perdre un bout de toile. Je suis ravi, les moustiques et les brulôts seront obligés d’être planqués. Mais, en voulant mettre mon embarcation sur son chariot, celui-ci, une fois de plus se met en avarie en faisant lourdement chuter mon bon compagnon Immaqa. J’en ai mal au ventre, rien de cassé ouf, mais ce maudit chariot me sort par les yeux. Ni une ni deux, je sors la boite magique pour une réparation de fortune, le kayak est hissé hors de la marée haute et des tsunamis causés par les icebergs qui se brisent…
Ce soir, sur ce petit caillou perdu au milieu de l’océan arctique à 400 km au nord du cercle polaire, un homme libre prend le temps de savourer sa liberté. J’ai réussi à bricoler ma prothèse en lui ajoutant une cale en cuir qui semble faire son effet. Ma perte de poids a enlevé aussi du volume à mon moignon qui depuis plusieurs jours me fait grincer des dents.
En point de vue de mon sac de couchage, les baleines peuvent danser, chanter, nous, on est là…
A pluche…
Camp du lac salé
4 août 2017C’est bien d’être sur une petite île seul au monde mais encore faut-il la quitter un jour ou l’autre, pourtant un immense «mais» était d’humeur matinale. Un iceberg de chaque côté du caillou et rien d’autre que de l’océan, mais ces deux monstres se sont auto-plastiqués 3 fois, des milliers de m³ de glace qui volent en éclat avec des blocs gigantesques créant une série de vagues à refroidir plus d’un aventurier téméraire. Donc, avec la plus grande des prudences, j’ai posé Immaqa les fesses à l’eau mais encore sur son chariot. Le matos à charger était à portée de prothèse, mais pas trop près non plus en cas de raz de marée. Un vrai exercice de style qui te permet de rentrer dans ta journée avec un bon taux d’adrénaline. Finalement, l’embarquement a pu se faire sans embrouille, direction le golfe de Pakistoq. Bien sûr, vent et courant sont contraires mais je suis resté bloqué sur ma mise à l’eau de ce matin, une vraie roulette russe sans plan B et ça je n’aime pas du tout. Si la vague arrive au moment de charger le kayak, à moins d’un miracle tu te retrouves en slip en perdant tout ton matos, un truc de fou.
J’avance en prenant mon mal en patience. Cette partie m’est complètement inconnue et ma seule question du jour est où vais-je bien pouvoir trouver un abri sûr pour cette nuit.Ce golfe bien plus grand que celui de Porto-Vecchio est hostile, sans la moindre trace de vie. De hautes falaises l’encerclent et à raz des cailloux, un minuscule point rouge. Au bout de 2h30, je trouve le premier coin accostable, en plus il y a de l’eau à proximité, je ne vais pas trop me charger, avec mes 2 litres j’en ai assez pour la journée, ce soir je trouverai ça ! Puis le vent et le courant se renforcent, me donnant une moyenne de 2,5 km/h, à un moment je me suis dit : mais t’as qu’à tourner tes fesses et viser ta petite maison bleue, là bas loin au sud. Mais vous me connaissez, il est têtu le garçon, alors je poursuis dans une impasse, un couloir ventilé à souhait mais à son bout, je devine une cabane. Un vrai calvaire, le vent dans la gueule. A midi pétante, on ne rigole pas avec ça, je peux enfin manger mes nouilles chinoises dans ce pertuis complètement perdu, un vrai coupe-gorge, un coup d’ouest et t’es un rat mort !
Je m’extirpe de ce piège mais je sais qu’à mon tribord si je grimpe la colline, je pourrai voir la mer intérieure de Pakistup Ilordlia. Donc, je trouve une brèche protégée de l’est mais il faut absolument que je sécurise Immaqa, là je n’ai vraiment pas envie de le voir partir au large. Je noue, je frappe, tout ce qui est corde est fixé à terre. Mais cette ascension rapide pour voir de l’autre côté ne me rassure pas du tout. Je n’aime absolument pas savoir mon beau kayak seul, entouré de cailloux acérés. Malgré tout, je vois enfin cette mer émeraude, un écrin encerclé de falaises, là je crois que les carottes sont cuites pour que j’y trouve un abri. Reprenant ma route, je vais devoir couper la passe qui pénètre cette petite mer intérieure, nous sommes à marée descendante ! Oula oula, ce n’est plus du courant, ce sont les rapides du Yukon, à vue de nez il doit y avoir 6 nds de courant sortant. Malgré le vent, je prends large pour éviter les remous mais me voilà de nouveau dans la tourmente, j’ai le sang qui se glace, les remous sont monstrueux, je prie pour qu’il n y ai pas un tourbillon m’entrainant au fond !!! Encore un gros moment d’adrénaline !
Puis le cap est pris vers une minuscule baie qui devrait me faire trouver l’abri juste du soir. En bifurquant, là sous mes yeux, la merveille des merveilles, en plus de deux renardeaux qui m’observent, une baie super protégée avec un déversoir d’un lac juste à 20 m derrière. Les dalles sont pentues à la perfection pour pouvoir hisser mon bon kayak sans problème, et si c’était ça le paradis ? Je sécurise mon embarcation pour aller me rafraichir au torrent. Mais là, je me dis que je dois être sacrément salé, car l’eau que je bois à le goût du sel, je me lave le visage, les mains et regoûte l’eau du torrent, mais non de bleu mais c’est de l’eau de mer !!! Un lac juste plus haut de 2mts avec son déversoir de 20 m cela me semblait extraordinaire, et ben à marée haute ils doivent être au même niveau… Un peu écœuré de ce malentendu, pour ce soir je vais devoir me contenter de mes 2 litres d’eau. Pour le diner spectacle, une jolie cascade se trouve à environ ½ de marche d’ici mais pour ce soir c’est clair, je suis cuit, extra cuit. Pour finir ce billet, la température est en train de chuter, ce matin à l’abri dans la tente, il faisait un petit 4°, vivement l’été…
A pluche
Paix et liberté
1 août 2017Ce matin, mon petit poste qui ne peut capter que KNR, me donne les infos en Groenlandais, je ne comprends rien mais j’aime la musique qui est diffusée, c’est souvent d’ailleurs du local. Mais ce que je note au ton du journaliste, c’est qu’il y a quelque chose de lourd, et je comprends bien tsunami, Uummanaq, des mots clés qui me font réfléchir… Je viens de savoir qu’en vérité, ce sont les gens des villages où a eu lieu le drame qui veulent retourner chez eux…
Le vent est faible mais de sud et le courant lui est prêt à tordre le pôvre kayakiste. Donc on reste ! Ne plus courir pour écouter le chant des baleines, voilà un programme qui me plait. Mais où sont les gens,personne en mer, personne nulle part et dire que c’est le premier week-end des grandes vacances d’août, «ma» pauvre Corse doit être envahie jusqu’à la dernière petite plage. Avant de vaquer à mes rêveries, une dernière fois, je tente une opération de survie sur mon panneau solaire. Je vire mon coin cuisine de la grande table qui me sert de cambuse et installe tranquillement la bête, un rayon de soleil passe à travers le carreau. Soudain, la diode s’allume, mais il n’est pas mort alors. Je me mets en 4 pour comprendre d’où cette coupure peut provenir, jusqu’au moment où enfin j’ai compris que c’est un des éléments voltaïques qui est cassé. Là, je ne peux pas ouvrir au risque de le détruire définitivement alors je lui trouve la courbure adéquate pour qu’il puisse se connecter de nouveau et donner du jus. Une heure de casse tête…
Mais je ne suis pas ici pour me laisser voler «mon» temps si précieux, être ici est un privilège alors vivons le. Armé de ma caméra et de mon appareil photo, je cherche les points de vue stratégiques pour «choper» mesdames les baleines. Un immense hangar en cours de délabrement devait être le lieu où était stockée la graisse de baleine, de gros tonneaux ont résisté au temps, il me semble entendre les ouvriers causer entre eux. Je remonte l’arête de la côte ouest de cette petite île, un cairn me donne la direction. Un monticule de pierre avec un poteau au centre devait être le mirador pour avertir en cas de passage des cétacés. La baleine franche a failli disparaitre, son nom vient du fait qu’elle se laissait approcher sans malice par les harponneurs. Puis je poursuis vers un lac, la vue est magique. A moins de 30km, l’île de Disko, plus au nord, le cap qui m’a fait trembler. La brise de sud ouest me permet d’enlever ma moustiquaire, le silence et la solitude me prennent aux tripes. Quel pays, quel lieu et tout ça rien que pour moi. Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours mais la récompense est tellement belle. Puis je prends l’arête orientale pour arriver sur un cimetière, la dernière date est de 1934. Eva est partie à 39 ans, là encore plein de petits tas de pierre laissant deviner la mort prématurée de jeunes enfants. Puis deux coups de sifflets me font sursauter, je me retourne brusquement sans pour autant voir quelqu’un ! Je continue et là encore on me siffle, mais comme si c’était quelqu’un qui voulait m’interpeller, je me sens soudain moins seul. Damned, le siffleur est un bruant de Laponie, qui me voyant m’approcher de son nid, s’est mis en crise noire pour me faire changer de route. Il continue sa comédie en faisant l’oiseau blessé qui court dans la toundra pour me faire m’éloigner de ses oisillons. Ah l’artiste, à un moment je me suis demandé si quelques fantômes ne se seraient pas mis en tête de me faire un tour.
A mon retour, dans un tout petit périmètre, les premières myrtilles apparaissent, l’été si bref est enfin là… A mon retour, «Highlander» fonctionne toujours, c’est le nouveau nom de mon panneau solaire, chaque fois je crois qu’il est mort mais à chaque fois il ressuscite !!! Aujourd’hui j’ai donc eu le temps de penser, de rêver, de me souvenir aussi et j’ai beaucoup ri en repensant à la dernière course à la voile du Vendée Globe. Il y avait un gars, Sébastien Destremau, qui a fini bon dernier car il prenait son temps, il stoppait son voilier pour faire des contrôles, en ce moment je suis devenu un peu comme lui, pas trop pressé d’arriver… A partir de demain, un régime de vent faible de Nord devrait m’aider à prendre un peu de chemin, vive la vie…
PS : Jo Zef en voyant les premières myrtilles vient d’abandonner tous ces gros os de baleine qu’il ramenait pour ses potes, désolé…
Torssukatak le géant
27 juillet 2017Le coefficient de marée est très haut en ce moment et ce matin il me faut remorquer Immaqa sur 40 m jusqu’à l’eau. Le chariot, une fois de plus, est en avarie, décidément c’est un vrai gadget de plage. Je récolte toujours les petits «trucs» qui peuvent servir et c’est encore le cas, c’est reparti comme « neuf ». Mon matelas de sol est HS aussi, dans le groupe de Xavier, le Docteur Suisse qui m’a « ausculté », un jeune rentre au pays, son matelas va continuer le voyage à mes côtés. Jo Zef se demande si une tablette de chocolat ne serait pas oubliée par hasard !
Qeqertaq est déjà derrière. La forme est revenue, ça c’est bon pour le moral alors cap vers la côte occidentale d’Agdlutoq, mais avant ça il y a le titan Torssukatak à traverser, un déversoir à icebergs avec des vents catabatiques toujours capricieux. Pour le rejoindre, je vise le cap Nua qui est la porte du puissant détroit. Le vent d’est me prend à contre pied, tiens je connais la musique ! Puis le cœur serré, j’attaque les simples 5 km de traversée, la glace est quasiment absente, mais le vent lui, veut causer au p’tit kayak rouge. Je me cale et fais le vide dans ma tête de mule, il me faut le traverser et c’est tout. Le vent est constant de 15nds puis des rafales frisent les 25nds, une vraie partie de bras de fer. Au bout d’une heure, il me semble deviner des « souffleurs », oui les baleines sont en plein déjeuner, krill à volonté. Ce n’est pas trop mon cap mais je tente l’approche, la force du vent faiblit, chouette je vais à leur rencontre. 10’ pas plus et là un ventilateur est mis en route, clapot, rafales, tout y est. La mort dans l’âme, je vise le cap Qamavik qui sera ma délivrance. 2h de combat encore, mais c’est passé, je peux enfin me relâcher. Le goulet me porte vers le sud, mes nouilles chinoises vont bientôt infuser. Seul au monde, je me remémore la petite traversée, heureusement que la forme est au rendez-vous.
Il me faut reprendre la mer, ici ce n’est pas jouable pour le bivouac du soir. Tranquillement, le vent devient brise et il me porte, quel bonheur. Soudain, sur mon tribord, un mât dépasse d’une profonde crique ! Incroyable, des voyageurs. L’approche est une sorte de dégustation, quel sera le menu de la rencontre ? Polaris, c’est le nom du beau sloop en alu, bat pavillon allemand. Mickaël m’accueille avec un chaleureux sourire,il me propose de monter à bord mais sortir de mon kayak en « long side » d’un bateau est un jeu de cirque que je ne veux pas tenter. Depuis 2009, avec son épouse Martina, il sillonne les mers polaires. Quand je lui demande s’il connait la Méditerranée, on est sur la même longueur d’ondes. Trop chaud, trop de monde, plus aucun endroit n’est paisible, ici au Groenland c’est encore un paradis. En quelques instants, nous dévoilons nos bouts de vie mais je sens Martina fatiguée. Un cancer lui a lancé un défi. Elle me sourit, elle sait que la lutte est inégale mais ces quelques jours avec son mari, ici au pays du silence, lui sont salutaires. Mickaël en profite même pour me réparer mon trépied qui a perdu une fixation et me voilà aujourd’hui avec un chariot, un matelas de sol parfait et un trépied en plein possession de ses moyens. Nous nous saluons chaleureusement, les «take care» fusent, ici on n’est rien et nous le savons.
Le nomade que je suis reprend sa route. Au détour de quelques dalles, une aire de bivouac me semble parfaite. La brise est fraîche, juste assez pour chasser les moustiques, mais les brulots ont repris le flambeau, mais ça c’est un détail que je ne vois même plus… Le coin est une fois de plus somptueux, quelle chance de le vivre si intensément. Malgré ces heures de gladiateur face au vent, un air de liberté me prend aux tripes ce soir. Quel joyau la vie, quel trésor notre existence. Si vous me demandez pourquoi je fais ça, je ne pourrais vous répondre que parce que je suis en vie et que les «risques» vous font apprécier encore plus la vie, parce que l’effort vous nettoie du superflu, parce que les anges ne sont accessibles que quand on se met à nu, sans aucune défense. Ici, ce soir, sous ma tente, je suis à la merci des éléments et c’est ça que je suis venu chercher. Ce n’est pas un record, un challenge mais un bout de vie plus fort que le confort et la routine…
Qu’un vent de liberté vous envahisse. Laissez la faire, elle est de douce compagnie. Vos pensées positives m’ont beaucoup aidé pendant ma brève convalescence, votre énergie me vient jusqu’ici, merci d’être là…
Libre, enfin libre
23 juillet 2017J’étais prêt, nous étions prêts, mais la baie qui nous abrite est déjà couverte de moutons, du vent d’est bien sûr ! Je ne comprends pas, je n’arrive même pas à crier. Ici, en cette saison, c’est toujours le calme plat, la mer même pas ridée et depuis mon départ, il y a déjà 34 jours, les vents contraires ne m’ont pratiquement pas lâché. Je rumine : mais pourquoi ? Au départ d’Ilulissat, une montagne s’écroule en mer en ravageant la côte du nord d’Uummannaq, un village rayé de la carte et des morts. Puis une autre montagne menace de s’écrouler, le passage est interdit, mais têtu je poursuis quand même, mon passé prend le dessus, j’ai tout vaincu, je n’ai jamais été freiné par mes peurs, et pourquoi je ne passerai pas ? Puis la péninsule de Nuussuaq, un désert de lave où je me fais ramasser par deux gros coups de vent, un delta boueux qui me glace les os en manquant de me faire chavirer et la mort dans l’âme je rebrousse chemin. Alors s’en suit un chemin de croix, sur la route j’érige même un calvaire dédié à la Liberté, mais rien à y faire, le vent me refuse, il joue de mes bras, de mon dos, de mon égo surtout. Rien à faire, j’avance, 20km en 8h de mer, mon record de lenteur est battu. En Botnie, j’avais traversé cette mer sur 1200km en 42 jours, sur le fleuve Yukon j’avais fait une étape de 140km, mais là, le voyage prend une autre dimension…
Il me faut sortir de la tente, ses coutures me sont devenues familières, un sommet me permettra de trouver le calme et la sérénité. Au loin le fjord de Torssukatak, au milieu de ces géants de glace, des moutons, les rafales se jouent des icebergs, je m’assois face à ce spectacle. Il me faut faire le vide, avec ce vent aucun moustique ne peut jouer le trouble fête. Il fait vraiment froid mais le ciel est bleu azur. Je m’assoupis, peut-être que mon corps est là mais mon esprit s’évade, à mon retour sur terre, un raisonnement m’effleure. Je ne dois pas être prisonnier de mon égo, et mon égo c’est le passé, c’est le futur mais ce n’est jamais l’instant présent. Pourquoi avancer sans relâche, pourquoi toujours l’action ? Je ne suis pas une machine mais un simple petit homme avec toutes ses faiblesses et ses doutes. Cette expédition doit changer, elle est complètement morte, désintégrée. Ce que je vis au quotidien est exceptionnel, mais je ne suis pas sûr qu’en voulant avancer toujours, je découvre quoi que ce soit de ce présent. A peine arrivé sur zone, je dois deviner si la marée basse me fera quand même partir le lendemain, puis le camp doit être monté au plus vite, trier la nourriture du soir, celle du matin, bricoler deux trois trucs, écrire ma journée et m’écrouler pour redémonter sans geste parasite le camp et reprendre la mer, ceci à l’infini. Je suis maître de mon destin alors, des choses vont changer…
Là haut un souffle de bonheur me prend aux tripes. J’avais oublié que j’étais un Freeman. Kiffaanngissuseq en groenlandais qui veut dire homme libre est tatoué sur mon avant bras gauche, ce n’est pas pour rien, non ! Alors je deviens l’explorateur d’un pays fantastique, la pente sud mène vers de belles prairies. A grandes enjambées, la toundra est foulée par un mec libre comme le vent. A un moment, un caillou attire mon attention, une énorme griffe est posée là devant mes yeux, incroyable si loin du bord. Puis, plus bas au bord de la plage, un ancien village est encore tracé au sol, des bases de maisons de tourbe où des hommes et des femmes ont vécu de manière si difficile. Le lieu est majestueux, plat sur un sol herbeux et face à la mer, avec une belle crique protégée du vent dominant qu’est l’est. Les premiers champignons apparaissent, une dizaine de chanterelles croisent mon pas boiteux, incroyable je ne savais pas qu’elles pouvaient pousser ici. Toutes crues, je les grignote ! Plus loin, un vieux cimetière tient encore debout, quelques croix ont survécu aux tempêtes. Ici cela ne fait si longtemps, peut-être à ma naissance, des inuits (qui veut dire en groenlandais, gens*) survivaient, alors qu’en bas, au pays des vies faciles, les hommes guerroyaient.
Vers 13h, je retrouve mon petit camp. A quelques encablures, une minuscule cabane rouge est posée, une table face à la mer est fixée au sol. Je vais m’embourgeoiser pour la squatter, mes nouilles chinoises aujourd’hui ont un sacré gout de liberté.
Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à 12h40.
A pluche
*Inuit veut dire en groenlandais : gens. Ici, ça irrite les locaux de s’entendre appeler gens alors qu’ils sont eskimos, groenlandais, hommes des glaces, mais certainement pas de simples : gens !
A contre courant
17 juillet 2017Quelle nuit, un vrai combat de Titan, au milieu un kayakiste en balade pris au piège. La cabane qui m’accueillait a été tellement prise par les bourrasques qu’elle tremblait à n’en plus finir, mon thermos est tombé de la table au passage d’une rafale qui nous a ébranlé ! En bas à 300 m sur la plage, mon pauvre Immaqa sérieusement arrimé à des caisses de pêche remplies à bloc, de pierres. Chaque heure, avec les jumelles, je le surveillais, la nuit fut blanche et cauchemardesque…
Comme par miracle, ce matin tout est calme, alors nous reprenons la route. L’ouest est là, chic on va faire du kilomètre, alors ! Mais non, la chanson est la même, l’ouest est juste là pour rendre la mise à l’eau musclée avec sa houle et ses déferlantes, puis une fois au large il tourne à l’est pour nous faire souffrir. Tout un programme, que je commence à connaître par cœur. Plutôt que de gémir, je m’évade, m’invente des histoires, retape la maison d’Oqaatsut, je sens même la tarte aux myrtilles que cuisine Karin. Je vois les futurs adhérents Bout de vie affairés à retaper la belle cabane bleue, mais le courant s’en mêle, il veut en découdre avec moi ! Ma moyenne est en chute libre, le moral aussi. Pour me saigner un peu plus, une belle barre de glace nous coupe la route, va falloir slalomer entre les glaçons. La température est basse, mes mains s’engourdissent au point que je ne sens plus les pagaies, je dois remettre les moufles de protection, quelle galère de pagayer avec ça ! Quand la brume laisse un peu d’espace, les montagnes dévoilent leur couche de neige tombée cette nuit, vivement l’été ! Du fait qu’il y a beaucoup de glace, la houle d’est se calme et comme par enchantement, le vent contraire tombe mais le courant lui, augmente, c’est vraiment l’enfer. Au bout de 7h pour seulement 23km de navigation de malade, me voilà bien à l’abri de l’est. Mes bras pour une fois sont laminés, mon moral un peu aussi, mais demain ça ira mieux.
Ce matin, comme tous les lundis à 12h40, j’étais en direct sur les ondes de France Bleu RCFM, un vrai plaisir de partager cette odyssée avec vous. Jean-Charles l’animateur m’a dit hors antenne que vous étiez de plus en plus nombreux à suivre ce voyage et je tiens à vous en remercier du fond du cœur, c’est formidable de vous savoir tous derrière. On vous embrasse bien fort. Demain soir, un coup de tabac va encore arriver, il faut que j’étudie la carte par rapport à ma force du moment.
A pluche !
Tempête
16 juillet 2017Même au lit, la petite voix me cause et ce matin elle m’a dit :
– Allez, allez, bouge tes fesses et déménage
– Mais il est 5h
– Je ne te le redirais plus mais lève le camp !
Effectivement un truc me rend vigilant, depuis deux jours le baromètre est aux alentours des 990 hectopascals, nous sommes comme dans l’œil d’un cyclone gigantesque ! L’iridium reçoit un SMS mais c’est la même chanson, il est illisible, l’écran affiche : incompatible message. Comme d’habitude, je rage sur la dépendance que l’on peut avoir à la nouvelle technologie. Je dois déballer mon PC et le brancher sur mon fameux Iridium pour enfin recevoir, mais par mail, le bulletin de la journée. Pas folichon tout ça, une forte renverse de vent à l’est avec des risques de chutes de neige est prévue, un vrai bel été en somme ! En moins d’une heure, nous voilà en mer, qui est encore houleuse de l’ouest qui a soufflé cette nuit.
Mais myrtille sur la crêpe, le chariot qui me sert à mettre à la mer Immaqa s’est encore dégradé et il m’a fallu faire un bricolage rapide dans la houle qui le submergeait, la mer est à 4° ! Mais c’est la vie de nomade qui veut ça. Tiens le brouillard est au rendez-vous, lui je ne l’attendais pas. Dans 10 petits kilomètres, il devrait y avoir une cabane, mais avec cette purée de pois il ne serait pas impossible qu’on la loupe. Pour une fois le courant est dans le bon sens, ça au moins c’est positif. La visibilité par moment se cantonne aux petits 100 m et l’abri visé est à au moins 300 m en hauteur, ce serait vraiment ballot de le louper.
Finalement au bout de 2h net, une trouée nous fait apparaître la cabane blanche, là haut perchée dans la brume. Immaqa doit être beaché, cette fois sur de gros galets. Je n’aime pas du tout ce style d’arrivée au surf pour mon compagnon de route. Tel le chat, à 3 m du bord, j’extirpe déjà mes deux jambes pour me retrouver comme un cow-boy sur mon embarcation en sautant rapidement pour le réceptionner. Pour un unijambiste, l’exercice est stylé, seuls les spécialistes peuvent apprécier ! Le premier boulot est de mettre à l’abri le kayak. Tant bien que mal entre deux vagues, je le vide au maximum et une fois plus léger, je le hisse sur son chariot en convalescence. Je ne sais par quel miracle, le voilà hors de danger : ouf ! Avant de poursuivre, je dois réparer ce chariot qui ne fait plus son boulot correctement. En une petite demi-heure et pas mal de système D, le voilà presque comme neuf. Mais ce n’est pas fini, mon cher monsieur, il faut voir si la cabane est en état pour nous recevoir.
Une belle grimpette au milieu des camarines et niviarsiaq mène à ce refuge de chasseurs. Des douilles et 4 têtes de rennes me guident jusqu’à sa porte qui n’est pas fermée à clé. Parfait, la cabane parfaite ! Il y a même un poêle à bois et vu ce qu’il y a sur la plage, c’est l’endroit idéal en attendant la tempête. Je m’affaire à tout monter. Même mon moignon est complètement cicatrisé, un vrai bonheur. Le petit poêle à bois n’attendait que mon allumette et un peu de branches de camarines pour sécher et chauffer la pièce. Je sens que du mauvais arrive alors je ne chôme pas. Du bois de ci de là est coupé et stocké, j’ai même trouvé une scie à moitié enfouie dans le sable, mes anges gardiens font un boulot énorme. Un magnifique torrent est à moins de 200 m, alors avec mon jerrican pliable je fais un plein et mets de l’eau à chauffer, ce sera douche et lavage des « fringues ». Sur une étagère composée de deux vieux bidons de peinture et d’une planche trouvée sur la plage, des trésors nous attendaient. Un gros sachet de pain noir, un fond de confiture à la fraise et 2kg de spaghetti sont là pour le pauvre égaré. Jo Zef me le confirme : On est paumé de chez paumé, faut tout bouffer !!! On se calme la mascotte, on n’est pas perdu et il nous reste des rations pour encore une petite semaine. A ces mots précis, la pauvre mascotte se jette sur ma prothèse pour me demander une tartine de pain noir avec de la bonne confiture de fraise. Il se jette au sol, convulse !!! OK la mascotte, juste une alors !
Après les éternelles nouilles chinoises, je peux enfin prendre un peu plus de temps. Le boulot est fait et tout est en règle en cas de gros mauvais temps. Dans ces moments de solitude, il me plait de marcher sur ces plages polaires qui n’en finissent pas. Des traces de bestioles me rendent enquêteur : Un renard, des oies, des rennes, même des morues séchées a moitié fossilisées. Mais, là bas vers l’est, une barre noire m’intrigue. Ici, la brise est à l’ouest qui s’est bien calmé. Soudain, en un claquement de doigt, un vent de nord-est d’une violence extrême balaie tout sur son passage. Mes bouts de bois sous mon bras, je vais au chevet d’Immaqa, il semble bien. Je l’ai remonté hors de marée, calé sur des caisses blanches de pêche perdues en mer et surtout je lui ai créé une ancre nouveau concept. La violence du vent est terrible, mais les rafales viennent de terre, donc le seul souci serait qu’il se soulève pour partir au large. Encore une autre caisse blanche en plastique enfouie à une bonne vingtaine de mètres de lui, il me suffit simplement de la remplir à ras bord de cailloux et d’y fixer solidement son amarre de proue. Si une mauvaise rafale le chope, il restera plaqué au sol…
Au chaud dans la cabane qui vibre en n’en plus finir, je me dis que je suis mieux ici que coincé sous ma tente à lutter toute la nuit. Vu la violence du vent, je ne pourrais dormir mais au moins je serais au chaud et au sec en écoutant la rage du vent du Grand Nord. Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec l’excellent Jean-Charles Marsily à 12h40, je vous raconterai comment s’est passé la nuit…
A pluche
Camp Niviarsiaq
15 juillet 2017Avant le départ, une dernière fois je me retourne vers cette croix symbole de liberté qui porte maintenant quelques gouttes de mon sang. Un fou rêveur passé par là, diront les passants. Par ici des passants ! La brise est à l’ouest, je suis déjà dans les perspectives kilométriques du jour. Mais les gardiens du détroit de Disko ont compris que le p’tit mec avec son kayak rouge était pressé, comme tous les hommes d’ailleurs. Alors, au bout de 15’, il fait basculer le vent à l’est, juste dans le nez. Mon moral en prend un coup sérieux : non, pas ça ! Je me plie aux Dieux des vents et des courants et tente de vider mon esprit, de ne plus penser à ce « contraire » mais de voir le positif. Le froid en profite pour me congeler, en un seul mot je crois ! Mes mains collées aux pagaies sont raides, elles me font mal mais je veux croire que ce n’est que temporaire, alors je m’entête. OK j’ai perdu, je dois remettre ma veste de mer et surtout ces sortes de moufles qui sont fixées aux pagaies par des velcros et reprendre mes esprits. Des larmes, en douce coulent sur mon visage. Depuis le cap, je me suis un peu rationné au niveau nourriture et comme hier je n’ai pas navigué j’ai encore plus baissé la quantité de ration, alors psychologiquement, le moral baisse. La houle courte de sud-est me fait danser et surtout baisse ma moyenne. Le brouillard enveloppe les sommets, la nature semble vouloir me donner une énième leçon. Je n’ai rien à dire. Je suis là pour apprendre, alors j’écoute, je note et retiens les leçons.
La route est longue. Au bout de 5h de mer à contre courant et le vent dans le nez, Immaqa se pose sur un lit de graviers, mais la houle déferle et à chaque vague la moitié du kayak est sous l’eau, il me faut un effort surhumain pour le mettre hors de danger… Une boite de poisson en sauce, une éternelle nouille chinoise avec une barre de céréales et un stick de café plus tard, j’allume mon téléphone satellite pour avoir peut-être un bulletin météo de ma douce allemande. Mais les aléas de l’Iridium sont navrants, son sms ne me parvient pas. Il me met souvent ce message qui me rend fou de rage : « incompatible message ». Fuck de fuck et le vent qui se renforce ainsi que la houle. Le coin ne me plait pas : pas assez en altitude, trop dangereux en cas de vague de rupture d’iceberg, il nous faut continuer. Tel l’haltérophile, je décolle Immaqa pour le pousser en mer. Sans casse, nous voilà de nouveau enfin face au vent. 2h plus tard, un talus assez haut et plat pour les 3m² réglementaires du montage du bivouac ; nous voilà en place. Comme par enchantement, le vent tombe et les moustiques en profitent pour se casser les dards sur mes avants bras qui en un mois ont doublé de volume. Mais je sais qu’ici il ne faut pas trainer, en moins d’une heure, le camp est complètement monté ainsi qu’Immaqa, qui sur son chariot un peu bancal, repose hors de danger de quelques vagues traitresses. Avant de me réfugier dans la tente, je plonge mes deux avant bras dans l’eau de mer qui doit être à 4°, jusqu’à ne plus tenir, puis avec un bout de glaçon éparpillé sur la plage de lave, je me rince abondamment. Après 7h de pagaie forcée, ce traitement me permet de n’avoir aucune courbature le lendemain.
La plus belle chose de cette journée, c’est de voir qu’enfin les fleurs de Niviarsiaq sont de retour. L’épilobe à feuille
large est la plante emblématique du Groenland. Ce fut le nom de l’expédition que 4 jeunes avaient vécu à mes côtés été 2015, une « robinsonnade polaire »…
Ce soir, les nuages semblent annoncer du mauvais. J’ai tout calfeutré, et au chaud sous mon bout de toile, je vous envoie toute la plénitude du grand nord, même si en ce moment je suis un peu dans le dur…
PS : message de Jo Zef : Echange nouilles chinoises, contre pile de crêpes tièdes accompagnées de confiture made in Muratello. Adresse de livraison : Mascotte and Co avenue de oncelégéle, Cailleland City 0000 Pole Nord !!!