6h le jour est bien levé et déja je glisse sur l’eau je sais que je n’irai pas trés loin le vent annoncé est de sud Est 5 à 6 de force beaufort.Je pense et espére arriver avant que le vent se léve sur le cap Senetose. Dans ces parages j’ai deux trois planques seulement pour des embarcations sans tirant d’eau, je serai assez eloigné du sentier du littoral pour ne croiser personne.
Une joyeuse équipe de Marsouins croisent ma route mais c’est l’heure de leur petit déjeuner et ma compagnie ne les intérresse pas du tout. Comme prévu la brise fraîchit rapidement mais je suis arrivé prés de mon repaire de « corsaire ». Bien planqué du large par un gros massif de granit et assez éloigné du sentier pour ne pas être repéré je suis sûr de rencontrer personne.
Les sucessives tempêtes hivernales ont déposé assez de bois flottés pour alimenter un feu pour ma cambuse.
Comme hier un corbeau noir me survole avec son croassement bien spécifique. Peut être a t il compris que j’étais en train de lire un livre d’Emeric Fisset intitulé: « Sous l’aile du grand corbeau ». Hier soir à coté du feu je lisais quelques pages de ce récit qui se déroule sur la cote nord americaine en Colombie Britannique et en Alaska. En une fraction de seconde je n’étais plus ici mais bien là bas ! Je me sens comme un aventurier « d’operette3 devant ce bonhomme qui a parcouru tout ces territoires avec toutes sortes de moyens
( Kayak, à pied, avec des chiens de traineaux en tirant une pulka…)
Chacun sa légende !!!
Je suis ici dans un contexte facile avec des possibilités de retraites mutiples et variées, là bas aucune sauf une : « Survivre ».
Je m’y prépare doucement car si je m’ecoutais je partirai demain, mais je ne me sens pas encore psychologiquement fort, je sais que l’année qui me sépare de ce départ va me permettre de me découvrir encore plus et d’être prêt à affronter mes fantômes.
Mais revenons au cap Sénétose, la tente bien plantée je pars à la recherche d’orties de mer (anémomes), j’ai pensé glisser dans mon sac étanche de victuailles, de la farine de pois chiche et un peu d’huile d’olive. Dans trés peu d’eau ces fleurs qui en vérité sont des animaux, vivent agrippées aux cailloux. Avec le dos d’une fourchette il suffit de les décoller pour les récolter. Ensuite bien nettoyer son pied de petit cailloux encore accroché et les faire sécher quelques minutes au soleil. Ensuite je les découpe en petites portions, les roule dans la farine, à la poêle à frire et voilà le tour est joué.
J’ai aussi récolté de l’ail sauvage et des bigorneaux qui vont accomoder mes nouilles chinoises de ce soir.
J’adore me servir de ce qu’il y a sous la main, cela fait trois jours seulement que je suis parti et pourtant il me semble que le temps s’est arrété, je n’ai parlé à personne et la seule communication que je m’autorise est avec ma Vrai les soirs pour lui donner ma position et prendre des nouvelles de son périple sur le continent chez une tante bien fatiguée.
Ce soir le vent semble mollir, je crois que je ne vais pas tarder à reprendre les pagaies pour essayer d’atteindre mon petit Cabochard.
20h30 le vent a effectué une rotation au nord ouest, je démonte le camp et charge méthodiquement le kayak, je ne pense pas aller bien loin mais juste assez pour grignoter quelques kilométres !
A 21h21 je suis finalement en mer, elle est encore hachée et j’essaie de me convaincre sans trop y croire qu’elle va se tasser, je double le hameau de Tizzano et une brise de terre me prend par le travers, je continue pour voir !
Vers le cap Murtoli je dois faire un arrêt car je commence à ressentir le froid, certainement la fatigue. En me « beachant » je surprends un gros sanglier qui doit encore courir maintenant ! Il a dû me prendre pour une « Sangliophobe !!! ».
Je continue ma route au moins jusqu’a Roccapina, la mer est de plus en plus hachée et je me fais secouer pas mal, le vent commence à se mettre en brise mais dans mon nez, la vitesse s’en ressent, je double le fameux cap au lion et rentre dans le vif du sujet ! 15 à 20 noeuds juste où je veux aller ! Je m’obstine il est déja 2h du matin, je me fixe la plage « di i Pastori » puis j’aviserai, j’ai un doute les rafales doivent par moment friser les 25 noeuds, j’enchaine sans penser aux muscles qui ne cessent de forcer, j’estime à 60 coups de pagaie la minute soit une par seconde, n’ayant aucune experience dans le kayak je ne sais quoi penser, mais là n’est pas la question, j’avance.
La plage atteinte je me restaure de deux tasses d’eau chaude provenant de mon thermos et d’une petite friandise: « de la créme de marron ». Je reprends la route ce serait dommage de m’arrêter si près du but plus que 10 kilométres. Je ne peux pas y échapper les baies que je dois traverser me malmènent et forment sur peu de distance une sacrée vague, cela s’appelle l’effet de « Fetch ». Je m’obstine mais par moment le doute frappe à la porte de ma cervelle mais elle lui refuse l’accés. les efforts me semblent surhumains mais en même temps je me surprends à bien encaisser cette mini torture, je m’évade et arrive même à effectuer des micros sommeil tout en ramant. Je sens même qu’en effectuant 4 à 5 fois ces brefs repos je récupére ! J’atteins le travers de la baie d’Arbitru, je ne vais pas arrêter maintenant ça n’aurait pas de sens, 5h du mat le jour pointe son nez , je fais relâche aux Ilots des Bruzzi, je me prépare un café avec deux canistrellis, c’est autour du soleil de montrer le bout de son nez, j’embouque le fjord de Figari, j’aperçois dans la lumiére naissante les mats des bateaux qui reposent à côté du Cabochard, à 7h 21 je m’amarre au Cabochard…
je suis ému, ce n’est ni un exploit, ni un record loin de là mais juste une recherche d’aller au bout de moi même, déverouiller les doutes et les zones noires. En montant à bord je trouve un coeur dessiné avec des bougies sur la table à carte, je crois avoir compris ; c’est l’amour qui m’a donné tellement d’énergie…
Si je joue si souvent avec les éléments c’est peut être tout simplement parceque je sais que je suis vivant !