Le Sirocco a perdu la partie, le Libeccu reprend le rythme, les rafales sont soutenues et la pluie ne cesse de rendre le mouillage couleur chocolat. Je quitte le bord pour une vallée perdue, pour un lieu oublié, là où une rivière doit être en furie de ces trombes d’eau que les Dieux du ciel lui envoient depuis plusieurs jours. La piste est défoncée mais prudemment mon véhicule se déjoue des ornières piégeuses. Je stoppe le moteur, les ondées se succèdent, elles se sont enrubannées de brouillard. Bien équipé j’endosse mon sac à dos étanche et part. Où ? J’ai envie de causer avec elle ! Qui ? Mais la patronne, Dame Nature…
Je sais qu’aujourd’hui je serais en paix, personne n’oserait venir se perdre dans ce coin si hostile. Le torrent est d’une violence que je ne lui avais jamais connue, je reste prudent. La pluie cesse mais je sais que cela sera éphémère. Je déplie ma canne et tente quelques lancés. J’avance dans un maquis dense, la pluie reprend de plus belle, je suis heureux, on dirait que les gouttes d’eaux veulent me dire des choses. Assis sur un tronc d’arbre mon thermos d’eau chaude me permet de déguster un chocolat chaud, une saveur d’enfance…
Là-bas dans un retour de flux du torrent monsieur et madame canard papotent, ils savent qu’avec moi ils ne risquent rien.
Je continue à longer la berge, mais c’est déjà l’heure de manger, je n’ai pas de montre mais l’estomac lui le sait.
Je fouille le sous bois et déniche le carburant, un peu de bruyère morte avec des copeaux d’écorce de pin sec. Je m’applique et fait un mini bucher. Je ne dois pas louper mon feu se serait une sorte d’offense. A genou devant lui je fais de mon mieux, soudain une petite fumée s’en dégage, je reste encore plus concentré car fait du hasard la pluie redouble de force. J’avais préparé du petit bois rouge et tout doucement j’en rajoute. La flamme est faible mais je suis là pour l’aider, à moins que se soit elle qui m’aide !
Quasiment couché devant le feu, juste derrière le bruit de la rivière en furie me réconforte, me met dans une sorte de cocon confortable. Au milieu de cette végétation si dense je me sens protégé.Ca y est le foyer est parti, mon eau chaude déshydrate ma semoule et mes mains se réchauffent. Un bonheur simple, facile sans artifice, puis soudain tout s’obscurcit ! Mes pensées me ramènent à la réalité, des soldats tuent pour la gloire d’un tyran, les nippons ont leur avenir qui s’envole en fumée, Haïti n’est plus qu’un restant d’île et moi je suis le plus heureux des hommes ! Paradoxe des vies, déséquilibre du Ying et du Yang. Quand je pense aux dernières catastrophes que les habitants de la planète ont subi, je me demande si Dame Nature ne réglerait pas ses comptes ?
Non, c’est sur que non, je raisonne avec mon petit cerveau d’homme. La Nature n’a pas de vindicte avec qui que se soit, elle fait sa vie c’est tout. C’est nous les fautifs et nous devrions prendre tous ces événements comme des leçons, au lieu de les prendre comme des fatalités. Mettriez-vous une friteuse sur le rebord d’une gazinière qui ne tient pas l’équilibre, déposeriez-vous vos documents les plus précieux au pied de votre douche, inciteriez-vous votre enfant à jouer à la roulette russe ? Non, bien-sûr !
Je ne juge pas, mais plus le temps passe et plus je trouve que nous ne sommes pas raisonnables…
Je reprends mon bol de semoule enfin prête et savoure cette journée absolument extraordinaire, je sais que le jour où j’ai eu la jambe broyée des gens faisaient l’amour, des enfants naissaient, des fleurs étaient offertes et un matelot lui se battait pour ne pas mourir.
Que puis-je y faire ? Y mettre ma pierre blanche, pour guider celui qui voudra. Moi-même j’en suis quelques unes, posées par un guide.
La gibecière avec trois belles truites et une grosse brassée d’asperges sauvages, je retourne aux pays des hommes retrouver en surprise ma « Vrai » pour lui remettre en partie ma récolte…
« Si vous pensez que vous êtes trop petit pour changer quoique ce soit, essayez donc de dormir avec un moustique dans votre chambre. »