Danse de l'oie, juste avant la chasse. Alaska Eagle river.
Il y a quelques jours une joute écrite s’est produite sur mon blog et elle m’a inspiré une histoire comme une légende athapascanne.
Dans une tribu holikachuk vivait 4 jeunes gens, l’âge adulte pointait à l’horizon.
« Coyote fuyant » était le leader de la bande, plus grand, plus fort, il était un chasseur de grande qualité. Il détestait plus que tous les trappeurs blancs qui ne tuaient que pour le gain.
« Crocus des prairies » était intellectuel, toujours fourré auprès de l’homme médecine, il récoltait toutes sortes de plantes pour soigner ses oncles malades, en lui sommeillait un grand chaman.
« Flamme vacillante » naissait malade et sa jeunesse n’était qu’une succession de guérison entrainant d’autres maux.
« Pas qui s’efface » était certainement le plus faible du quatuor, il craignait la foudre et les combats, son cauchemar était de se retrouver seul en forêt un jour d’ouragan.
A l’aube de la quatrième lune Aigle Rusé le grand chef, réunissait le village, un immense feu central était encerclé par toute la tribu et des chants ancestraux mélangés aux sons des tambours couvraient le hurlement des coyotes en quête de proies.
Les quatre jeunes savaient que c’était le moment du départ. Chacun reçut un paquet identique : un poignard, de l’amadou séché, une pierre à éclat et un parchemin à ne lire qu’en plein milieu de la forêt.
Pendant trois cycles de lune ils devront survivre avec peu, prier, jeûner, penser et surtout découvrir le monde des grands esprits.
Ils prirent leurs dotes et partirent le cœur serré aux quatre coins cardinaux.
La première nuit fût longue et brumeuse, la fatigue, la faim et le manque de compagnie les recroquevillaient sur eux mêmes. Plus les jours passaient et plus les corps s’affaiblissaient. Ce n’était que le début du printemps et à part des pissenlits la nature n’était pas encore généreuse.
Le grand chef en leur remettant le parchemin avait bien stipulé qu’ils ne devaient l’ouvrir qu’au moment où le doute s’installerait. Ce texte serait une sorte de guide, de conseilleur…
« Coyote fougueux » était sur une zone trappée par les visages pâles en abondance et il ne réussissait pas à piéger d’animaux pour se nourrir. Il était épuisé et perdait le moral en même temps que son poids, il fondait comme un glaçon au soleil. Il se mit à lire le parchemin. Le texte disait que l’homme blanc était supérieur aux athapascans, qu’ils étaient mieux organisés et que la forêt allait leur appartenir…Dans une rage noire il hurlait sa haine contre les visages pâles et maudissait le chef du village de lui avoir fait subir cet affront avec ce texte odieux.
« Crocus des prairies » découvrait des plantes qu’il ne connaissait pas, il se perdait dans les théories qu’il avait cru apprendre mais ici loin de sa terre tout était différent. Il était temps de lire le manuel d’Aigle Rusé. Où que tu sois les plantes sont poisons, les rivières souillées et l’animal trop futé pour se laisser piéger, tout ce que je t’ai appris ne sert à rien… Il était abasourdi d’une telle nouvelle, pourquoi une si grande trahison alors qu’il commençait à appliquer sa médecine ?…
« Plume vacillante »n’était pas en meilleur état que ses autres frères, mais il encaissait pas trop mal cette immense épreuve. Les anciennes blessures bien-sûr prenaient de plus en plus de place et le moment de rentrer au village lui tardait. A son tour il ouvrait le parchemin : La maladie va te ronger comme le fleuve qui ravage une berge, loin des tiens tu va souffrir et dans le grand astre noir tu vas partir. Il se mit à sangloter et ne pouvait croire que le grand chef avait pu écrire cela…
« Pas qui s’efface » était celui des quatre qui était le plus mal en point, seul au milieu de la forêt tout le faisait sursauter. Un grizzli était venu croiser son chemin et il avait bien cru que c’était sa dernière heure. Chaque buisson, talus, arbre semblaient lui cacher un monstre. Il était temps pour lui de prendre du réconfort en lisant les écrits d’Aigle Rusé : Le grand vent du Nord qui porte la foudre et la grêle vont s’abattre sur toi, le tonnerre mettra le feu à la forêt que tu arpentes et comme tu es seul les grizzlis et les loups te dévoreront. Il se mit à hurler comme une bête féroce. Il se jugera de rentrer au village pour se venger…
Au matin de la troisième lune, quatre gars décharnés se présentaient au milieu du village, le feu était toujours allumé où du genévrier brulait pour éloigner les mauvais esprits. Le son du tambour lancinant rameutait la tribu et autour des jeunes disciples Aigle Rusé récitait de vieilles prières.
Le calumet était fumé à tour de rôle et les percutions de fémur d’orignaux sur les peaux tendues embrouillaient encore plus les esprits…
Soudain le vieux planta sa lance dans le sol et le silence glaça l’assistance. Alors mes enfants avez vous rencontré le grand esprit ? Est ce que mes écrits vous ont guidé ? Le mutisme était pesant puis le plus courageux des quatre pris la parole. Il le regardait droit dans les yeux en tremblant de rage : Tu m’as trahi, tu m’as prédit de devenir un guerrier et sur tes écrits tu sublimes l’homme blanc. Les trois autres saisirent l’occasion pour vociférer contre le grand chef, tu es un vieux fou, tu nous as trahi, tu mérites l’exile…
Le sage saisit les parchemins et les déroula devant tout le monde, ils étaient vides de toute trace, vides d’écrit, vierges de peinture !!!
Les jeunes les reprirent en mains et hurlaient que ce n’était pas possible, qu’il y avait de la sorcellerie dans tout cela.
Les tambours reprirent comme le battement d’un cœur qui bat au ralenti, le chef se mit à chanter en lançant du sel sur le feu. Puis de nouveau il planta sa lance dans le sol et s’approcha face contre face des quatre apprentis.
Ces parchemins étaient vierges !!! Il se mit à rire comme jamais ils n’avaient entendu… Ils sont vides, je n’ai jamais rien écrit dedans, ils ont juste un pouvoir, celui qui tente de le lire ne voit que ses faiblesses, ses rancœurs, son passé. Vous n’avez lu que ce que vous avez au plus profond de vous…
Voilà chers amis une petite histoire qui m’est venue en réflexion pendant une journée kayak en montagne en plein milieu d’une Corse hivernale paisible.
Il est dur d’écrire, mais encore plus de lire et d’interpréter. Si le cœur vous en dit vous pouvez bien-sur écrire un mot à Grand Aigle Rusé…
Ayeltgnu