Temps de vivre…

3 novembre 2019

Tour de Caldarello cliché de ce matin retravaillé.

Certains ont la montre, toi tu as le temps…

C’est ce que j’ai reçu ce matin par texto, en remerciement de l’écriture de mon dernier livre : Carnet de voyage d’un homme libre.

Jour des défunts, jours des morts et il parait, journée de la gentillesse ! Dehors c’est enfin l’automne, orage violent, pluie, tonnerre, la vie au ralenti peut reprendre ses esprits. Le temps va enfin s’écouler sans bruit, sans paraître, sans accélération.  J’ai rougi en recevant ce message, mais tout compte fait, cela est bien vrai. J’ai appris du temps, pour prendre mon temps.

 La liberté n’a pas d’agenda, la mort se moquera de nos rendez-vous essentiels. La souffrance et les drames viennent toujours à l’improviste, riches, pauvres, grands, petits, célèbres, inconnus, ils se moquent de nos émotions, alors prenons le temps.

Cloué sur mon lit d’hôpital, ma seule survie était le souvenir, mon présent était souffrance et mon avenir définitivement foutu. Le temps s’installait, il me paraissait interminable, chaque seconde semblait une heure, une journée un siècle… On aurait dit que je l’avais pressenti, avant mon amputation je n’avais jamais le temps de m’arrêter, une vraie machine infatigable, le lit était un objet bizarre qui me permettait de m’étendre que quelques heures, mais vraiment pas plus. Jamais je n’aurais imaginé rester allongé des semaines, des mois, à regarder passer le temps. Sylvain Tesson dit : le silence c’est le bruit du temps qui passe.

Il n’y a pas de mauvais ou de beau temps, il n’y a pas de bon temps aussi. Le temps est l’instant présent.

Prendre le temps c’est oser. Prendre le temps c’est une philosophie de vie, un arrêt sur image. On entend en boucle je n’ai pas le temps, alors qu’il est là, impondérable, immuable, nous ne sommes que son passager, le temps d’une courte vie.  Les pensées, les lieux, les personnes, les métiers parasites, le rangent aux oubliettes. On griffonne sur un post-it, une ardoise, sur un écran, ce que l’on doit faire sans prendre le temps. Le lapin d’Alice au pays des merveilles court après le temps. Le conte de Lewis Carrol ne dit pas si un jour son personnage a réussi à stopper le temps. Dans chacune de mes expéditions la météo m’a cloué dans ma tente, mon abri. Je pouvais prendre le temps. L’extérieur ne pouvait plus me polluer, m’interpeler, me transmettre l’info qui ne sert à rien. Un sac de couchage, un peu de nourriture et le temps prenait son sens. Je me souviens de cette traversée polaire, nous n’avions plus de nourriture, nous étions amaigris et l’hélico qui devait nous récupérer sur la calotte était cloué au sol pour cause de mauvais temps. Avec mon binôme, nous explosions de joie, nous avions du temps pour nous. Le temps d’écouter le silence de la glace, du vent dans les haubans de la tente. Le grand marin, Bernard Moitessier fait partie de ses peu d’hommes qui m’ont fait rêver. Dans ses écrits, le temps est assis à ses côtés tout au long de sa longue route. Dans sa course en solitaire à la voile autour du monde, il avait renoncé à son sacrement de vainqueur et poursuivit contre toute attente, son périple autour du globe. Il avait planté en moi sans le savoir cette graine de liberté. Car oui, prendre le temps c’est être libre. Libre de penser, libre de devenir.

 Etre plutôt que paraître.

Paix et liberté

1 août 2017
 
Ce matin, mon petit poste qui ne peut capter que KNR, me donne les infos en Groenlandais, je ne comprends rien mais j’aime la musique qui est diffusée, c’est souvent d’ailleurs du local. Mais ce que je note au ton du journaliste, c’est qu’il y a quelque chose  de lourd, et je comprends bien tsunami, Uummanaq, des mots clés qui me font réfléchir… Je viens de savoir qu’en vérité, ce sont les gens des villages où a eu lieu le drame qui veulent retourner chez eux…
 
Le vent est faible mais de sud et le courant lui est prêt à tordre le pôvre kayakiste. Donc on reste ! Ne  plus courir pour écouter le chant des baleines, voilà un programme qui me plait. Mais où sont les gens,personne en mer, personne nulle part et dire que c’est le premier week-end des grandes vacances d’août, «ma» pauvre Corse doit être envahie jusqu’à la dernière petite plage. Avant de vaquer à mes rêveries, une dernière fois, je tente une opération de survie sur mon panneau solaire. Je vire mon coin cuisine de la grande table qui me sert de cambuse et installe tranquillement la bête, un rayon de soleil passe à travers le carreau. Soudain, la diode s’allume, mais il n’est pas mort  alors. Je me mets en 4 pour comprendre d’où cette coupure peut provenir, jusqu’au moment où enfin j’ai compris que c’est un des éléments voltaïques qui est cassé. Là, je ne peux pas ouvrir au risque de le détruire définitivement alors je lui trouve la courbure adéquate pour qu’il puisse se connecter de nouveau et donner du jus. Une heure de casse tête…
 
Mais je ne suis pas ici pour me laisser voler «mon» temps si précieux, être ici est un privilège alors vivons le. Armé de ma caméra et de mon appareil photo, je cherche les points de vue stratégiques pour «choper» mesdames les baleines. Un immense hangar en cours de délabrement devait être le lieu où était stockée la graisse de baleine, de gros tonneaux ont résisté au temps, il me semble entendre les ouvriers causer entre eux. Je remonte l’arête de la côte ouest de cette petite île, un cairn me donne la direction. Un monticule de pierre avec un poteau au centre devait être le mirador pour avertir en cas de passage des cétacés. La baleine franche a failli disparaitre, son nom vient du fait qu’elle se laissait approcher sans malice par les harponneurs. Puis je poursuis vers un lac, la vue est magique. A moins de 30km, l’île de Disko, plus au nord, le cap qui m’a fait trembler. La brise de sud ouest me permet d’enlever ma moustiquaire, le silence et la solitude me prennent aux tripes. Quel pays, quel lieu et tout ça rien que pour moi. Bien sûr, ce n’est pas facile tous les jours mais la récompense est tellement belle. Puis je prends l’arête orientale pour arriver sur un cimetière, la dernière date est de 1934. Eva est partie à 39 ans, là encore plein de petits tas de pierre laissant deviner la mort prématurée de jeunes enfants. Puis deux coups de sifflets me font sursauter, je me retourne brusquement sans pour autant voir quelqu’un ! Je continue et là encore on me siffle, mais comme si c’était quelqu’un qui voulait m’interpeller, je me sens soudain moins seul. Damned, le siffleur est un bruant de Laponie, qui me voyant m’approcher de son nid, s’est mis en crise noire pour me faire changer de route. Il continue sa comédie en faisant l’oiseau blessé qui court dans la toundra pour me faire m’éloigner de ses oisillons. Ah l’artiste, à un moment je me suis demandé si quelques fantômes ne se seraient pas mis en tête de me faire un tour.
 
A mon retour, dans un tout petit périmètre, les premières myrtilles apparaissent, l’été si bref est enfin là…  A mon retour, «Highlander» fonctionne toujours, c’est le nouveau nom de mon panneau solaire, chaque fois je crois qu’il est mort mais à chaque fois il ressuscite !!! Aujourd’hui j’ai donc eu le temps de penser, de rêver, de me souvenir aussi et j’ai beaucoup ri en repensant à la dernière course à la voile du Vendée Globe. Il y avait un gars, Sébastien Destremau, qui a fini bon dernier car il prenait son temps, il stoppait son voilier pour faire des contrôles, en ce moment je suis devenu un peu comme lui, pas trop pressé d’arriver… A partir de demain, un régime de vent faible de Nord devrait m’aider à prendre un peu de chemin, vive la vie…
 
PS : Jo Zef en voyant les premières myrtilles vient d’abandonner tous ces gros os de baleine qu’il ramenait pour ses potes, désolé…

Le voyage immobile…

12 mai 2013
Ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous qui passons...

Ce n'est pas le temps qui passe, c'est nous qui passons...

Je me souviens de cette conversation intime avec Sylvain Tesson, sa vie d’ermite sur le bord du lac Baïkal l’a à tout jamais transformé. Captant ses paroles, j’essayais avec mes propres images de référence de m’y transposer. Je ne suis pas au fin fond d’une région sibérienne mais dans une rare vallée corse encore et totalement isolée. Pas de route, pas de réseau ni hameau et encore moins de sentier. Ce coin paumé tant rêvé je l’ai enfin trouvé, ma cabane est une tente lapone, le torrent se moque bien de mes états d’âme, il suit son cours sans jamais quitter son lit. Cette histoire m’inspire, vivre le voyage immobile, un défi des plus fou à réaliser. Comme Sylvain, j’ai parcouru le monde sans jamais m’arrêter, pourquoi l’aurais-je fait ; il y a tellement de choses à voir. Mais vous connaissez ma devise, quand deux chemins se présentent à moi je choisis toujours le plus difficile. Véro m’a accompagné jusqu’au bout de la piste, je la vois s’éloigner en 4X4, je dois prendre le maquis, retrouver une sente qui me mènera au départ d’un début de voyage immobile. Ce soir je n’aurai pas à pointer sur la carte ma longitude et latitude, pas d’immense feu à allumer pour éloigner les prédateurs, ce soir je dois laisser le vide m’envahir. Une panique, me prend, il faut que je bouge, il faut que je consomme du kilojoule, la tétraplégie complète me bouleverse. Je pourrai aller gravir la montagne d’en face, pas de piste que des ronces et des murs de granit, je pourrai monter quelques murailles de pierres sèches, des pièces dépassant le quintal me défient du regard, pourtant il faut que je commence mon voyage. Une sorte de mise à mort de mon vivant ! Le passé prend du volume, je peste, c’est moi qui aurais dû chanter : Non rien de rien, non je ne regrette rien. Si un piaf sifflote devant ma fronde je le plume ! Nous sommes 7 milliards et chacun fourmille ; tout le monde court contre le temps, mais lui, il reste c’est nous qui passons. Je suis mal, je suis en manque, je veux ma dose, je dois faire un truc, bouger quoi. Aucune chance de me confier au téléphone, pas de 3G pour un simple mail, la connexion n’est qu’avec le maître des lieux ; l’écorché vif qui sommeille en moi. Je me dépouille, je dois tenter le passage de ces rapides du temps qui passe. La vie est une roue, un cercle souvent repris par les religions  de « l’omo-speedus », je ne veux pas, je ne dois pas, et si je tentais la spirale, celle qui monte sans fin. Je dois devenir dingue, le bruit du torrent me berce, m’envoute peut-être, je ne sais plus si je dois continuer ou arrêter. Le compte à rebours, lui ne cesse jamais. Un jeu cruel serait qu’un génie nous dépose notre avis de décès daté, les règles du jeu seraient faussées, la fin du voyage annoncé. Ici au pays de l’immobilisme, il faut qu’équilibre trouve sa place, le mot me plait il est composé de libre, mais que veut bien dire « équi » ? Equi tation, équi valent, « et qui » tu es toi, pour m’embrouiller autant ? L’écran, anesthésie le tête en l’air, plus de place au vide, on vit à cran, la réflexion est dans le couloir de la mort, peine capitale pour qui ose la pause. Un seul maux, pourquoi ! Pourquoi, quoi ? Mais pourquoi tout, c’est si simple. Quand nous naissons nous sommes condamner à mourir, le mot définitif devrait être amputé du dictionnaire, tout est éphémère. Je ne trouve plus mon chemin, je m’égare, le voyage immobile demande une grande concentration, tout est là pour me distraire. Le mal rode, il veut ma peau je le sais, je vois «  pourquoi » en tenue camouflée, je les entends ricaner : On le prend par surprise mais il nous le faut vivant. Puis le temps me sourit, je trouve une oreille sérieuse à qui me confier, tient le bruit du torrent n’a plus la même mélodie. Mon corps est statique mais chose incroyable, mon esprit le devient aussi…

Cinq jours ont passé, c’est déjà du passé, je ne me suis pas laissé dépasser, s’en est assez. J’ai compris je ne suis pas entrainé pour ce type de voyage, il va falloir bosser, travailler l’isolement, habillé un peu l’écorché vif et retenter le voyage du temps qui passe…

Je vais quitter provisoirement la spirale pour rentrer de nouveau dans le cercle, ne me demandez pas de suivre le flux du courant c’est assez compliqué de tourner en rond !

Un peu chez l’habitant quand même !

7 juillet 2012

P7070008.JPGweb Immaqa repose pendant la pause déjeuné.

6h je sors de cet écrin de Kallvigen pas un souffle d’’air la mer semble un miroir. L’été semble s’imposer, déjà 17°, je suis en t-shirt mais la grosse artillerie à portée de main, ici tout va tellement vite. Je me traîne en attaquant par une vraie navigation hauturière, pas d’’île pour me protéger que de l’’eau à courir. Je ne suis pas en forme, je suis rouillé et surtout pas bien dans ma tête. Que la route est longue… je cogite, je me morfonds, j’attaque le processus de sape ! Je ne suis pas
à la hauteur, j’’ai mis la barre trop haute, je ne suis pas fais pour ce style de vie…. Trois heures pour retrouver une pointe d’’île, je fais un stop. Bois un café et me restaure un peu. Mon moignon est ankylosé et plus ’une fatigue générale je ne supporte plus cette gène. Une idée lumineuse, je déboite ma prothèse et bricole un système de ficelle pour pouvoir actionner le palonnier sans « magui » ! Une boucle assez grande pour pouvoir l’’engager dans mon clou d’accroche du moignon sur l’’emboiture et je repars  tout neuf ! C’est vrai que de moins avoir de gêne permet au corps d’’être plus concentré sur le boulot, le vrai, pagayer ! 12h je suis au milieu d’’îlots de granit et me restaure, le vent semble se lever, ça faisait longtemps que je ne l’’avais vu, lui ! Ok, mais dans le bon sens. Je reprends la mer de nouveau pour une grande
traversée, le zef est de mon trois quart arrière et les premières lames me refroidissent, corps et âmes. Je suis de nouveau en tenu de « combat », trois couches, la jupe bien fixée à l’hiloire et tout calé à bord. Je serre les dents, je n’’aime pas ces déferlantes, le vent n’’est pas si violent mais comme l’’eau est douce elle a peu de densité et au moindre
souffle cela devient une machine à essorer. Sur ma carte j’’ai détecté une petite île avec une crique protégé du Nord-est qui devrait me servir de refuge. Je force sur les pagaies, déjà 9 heures que je suis parti. Damned, la carte est fausse, la baie n’’existe pas, j’allume le GPS, lui aussi me donne une crique mais à la place il y a un tumulte de cailloux. Je continue, après la pointe deux criques, je devrais trouver mon bonheur ! La première est inaccessible, la deuxième est habitée. Je beach Immaqa et pars à la rencontre des heureux propriétaires. Personne ! Je vais et viens, je ne trouve pas le moindre emplacement pour fixer mon camp, que des cailloux. La pelouse de la maison me tente, à 40 mètres du kayak. J’entends d’’ici la voix de Véro me disant : Ca non Frank, on ne peut pas faire ça ! Je tourne comme un lion en cage, il y a une poubelle et un robinet d’eau potable. Ok on reste. Je pars chercher la tente quand je vois une sorte de trou dans la forte végétation. Pour Véro, je vais voir ! Pas de cailloux, juste deux trois trucs à élaguer et me voilà en règle… En fouillant, nous trouvons les premières fraises de bois, les framboises sont encore vertes. Pour l’’instant personne à l’’horizon, je crois qu’’au dessert il y aura des fraises. La glace et la chantilly ! Et la mascotte tu ne crois pas que tu pousses un petit le bouchon trop loin !
Au fait quand même 40 bornes de parcouru …
A pluche !

Aphorismes amers salés 3…

21 octobre 2011

Chut bateau rêveur...

Chut bateau rêveur...

Libeccu : Ce n’est pas grave on partira plus tard.
Lavezzi  d’été, la mer urbaine, Lavezzi d’hiver une vraie aubaine.
Marcher : Volonté de ceux privés de jambe. Les autres : c’est quand même fatiguant.
Les manchots empereurs, un prince sans bras ?
Espana, cabo Trafalgar. Corsica Cabo chard !
Boiter, luxe de l’unijambiste appareillé.
Capitale, illusion en lettre minuscule.
Mineur, un mioche en profondeur.
Si tu as la tête qui te tourne, profite de cette aubaine pour te regarder les fesses.
Plastiquée, villa pas bio.
Anticiper : prévoir l’imprévisible. Zut, ce n’était pas prévu.
Ecrire un livre, éclairer le chemin des nuits blanches.
Chandelle : tu trembles sans m’oublier et de toi je ne peux me passer.
Bivouac bipède, monovouac amputé !
Comment envoyer au coin un enfant esquimau dans son igloo ?
Banni par ses parents, il devint une étoile scintillante et eut beaucoup de comètes.
Si vous marchez sur des fleurs, je vous en prie, ne les faites pas souffrir.
Un bruit qui court finira toujours par tomber.
L’écorce des arbres, insularité de la forêt.
Sylvain Tesson n’est pas un plat littéraire ébréché.
Je me demande si un poisson agréable est un sar cosy ?
A voir les hommes ne parler que d’argent je me demande où Dieu a bien pu planquer son magot ?
Une femme qui a un amant est une trainée, un homme qui cocufie sa femme est un salaud et celui qui se trompe de vie ? Adulte erre !
Ce curé qui croyait que Dieu était amour ! Encore une histoire drôle !
Homme d’affaires, il court derrière les bourses, homme de fer, il ne court plus il a perdu les siennes, de bourses.
Quand les feuilles tombent, c’est parce qu’elles savent que la terre a froid, elles l’ emmitouflent.
L’ours n’hiberne pas il médite à son futur repas.
Lizarazu, petit basque Cabochard.
Remontées mécaniques, sclérose en plaque de la montagne.
A quoi sert le vent ?  A te ventiler. A quoi sert la pluie ? Essaie de boire du sable. A quoi servent les hommes ? A s’entretuer…
Handicapé, Andy est bachelière ?

Une simple goutte d’eau…

12 octobre 2011
    Une multitude de gouttes d'eau...

Une multitude de gouttes d'eau...

Je m’étais solidifié avec tous mes collègues, mais le congestus cumulus ne nous supportait plus, trop petit, trop froid, trop encombrant. Il nous larguait en plein ciel, pas le temps de se dire adieu, pas d’accolade réconfortante, même pas d’itinéraire en poche, nous étions au cœur de l’orage. Entre vous et moi je me demande si nous n’en étions pas la cause. Je plane, je vois la terre sur 360°, que c’est beau, c’est enivrant, je suis devenu éternelle… Une grosse masse noire vient briser mon rêve et sur elle, j’atterris un peu en vrac. Des copines par milliers me rejoignent mais ce n’était pas le temps aux causeries, la foudre fait vibrer la montagne, nous devons fuir, un seul moyen se faufiler dans la terre. C’est lugubre et le noir me fait un peu peur, je ne suis pas une enfant des ténèbres pour mériter cela, mais je sais que tout a une fin alors je continue de me tailler la route dans ces failles infinies. Soudain  un grand froid me saisi, un grand vide, je m’accroche comme je peux, mais je glisse sur une sorte de glace géante. Tic, tic, je m’envole de nouveau pour retrouver une autre glace, certains les appellent stalactites et stalagmites. Dans un toboggan luisant je rejoins une mare, mais je me sens aspirée,  je ne tente plus rien je sais que c’est mon destin. Dans un entonnoir je suis avalée, ça se rétréci, l’effet venturi nous compresse, soudain la lumière, j’explose en vol je suis une cascade. Mon lit s’offre à moi, il se nomme ruisseau, je peux enfin contempler les environs, la forêt paraît aussi tourmentée que le chemin que je parcours. Des milliers de copines nous rejoignent du ciel, l’union fait la force et surtout la rivière. Une équipe courageuse fait s’ébrouer le maître des lieux, le grizzli. De si petites gouttes qui font tressaillir l’ursus arctos horribilis, comme quoi, la taille n’y est pour rien !   Nous ne sommes plus de simples gouttelettes, nous sommes une armée invincible, mais nous avançons sans connaître notre destin, sans savoir comment sera fait demain. Entre vous et moi demain je m’en moque, je ne suis qu’une goutte d’eau. Nous sommes un fleuve gigantesque, nous mangeons les berges, les arbres tombent, les villages sont emportés. Que de force, que d’énergie et dire que certains ne nous voyaient même pas. Le courant perd de sa force, le serpent boueux s’élargit, des copines se perdent dans des méandres funestes, je ne les reverrais jamais plus. Je suis mon destin de goutte d’eau. Sur le fond sableux, je découvre des pauvres poissons remonter le courant pour mourir, mais quel injustice, quel suicide. Je fonce sur l’un d’eux, je m’infiltre dans ses ouïes, il me pique quelques bulles d’oxygène et me recrache pour poursuivre sa macabre croisade . Je suis toute secouée, il n’a pris le temps de s’arrêter, de me causer, de me sourire et je vous jure ce n’étais pas un humain. Au loin un barrage, des turbines, je vais mourir, je vais être laminée. Dans une grande roue sans ticket j’accomplis le grand tour pour me retrouver expulsée comme un pépin de cerise ! Là bas au loin, apparait l’horizon, le fleuve devient salé, mais c’est que ça me pique les yeux, je suis devenue océan. Enfin tranquille pensez- vous, mais non le courant m’envoute et je me range à ses cotés. Un grand voyage autour du monde sans escale. Le temps n’existe pas puisque je suis éternelle. Du Pacifique à l’Indien, de l’Atlantique à la Méditerranée je fais mon bout de vie. Un puis un rétrécissement, un détroit, celui où Homère a inventé la légende d’Ulysse et du Cyclope. Un drôle de village accroché sur une falaise blanche de calcaire, m’interpelle, un peu plus loin des îles. Je suis curieuse, comme toutes les gouttes d’eau, je m’aventure dans une crique, j’y vois un drôle d’homme qui a le visage couvert de mes amies, les larmes. Je me pose, je l’observe, je le contemple, il pleure. De tristesse ? Non, je ne crois pas ! Il cause aux cailloux, interpelle les oiseaux, répond aux poissons. Flûte, il m’a repérée, me prend dans sa paume, me dit que je suis belle, je ne peux rougir car je suis une goutte d’eau, le soleil me chauffe, m’allège, oups !!! je m’envole et dire que je me croyais éternelle…

Promis si un jour je grandis je veux être une goutte d’eau…

Un homme, un kayak et du rêve…

5 octobre 2011

C’est qu’il est fier mon kayak… A l’étroit dans ses sacs de rangement pendant ces mois d’éloignement, je l’ai minutieusement remonté. J’ai l’impression qu’il s’étire de trop d’oisiveté. Pas une ride, le soleil n’est pas encore levé, à cette heure si, il doit encore réchauffer l’orient. Je sais que mes épaules vont ne pas trop apprécier la cadence mais il est temps de reprendre une longue et minutieuse préparation. Dans  8 mois je vais partir pour une belle et longue aventure, mais chut c’est un secret…

Immaqa (prononcé imara, peut-être en langue inuit), c’est son nom, a encore les stigmates de notre descente du fleuve Yukon. Une confiance mutuelle nous unit, nous ne sommes qu’un. Le golfe est silencieux et pas un bateau ne brise cette paix. Au loin les dauphins semblent nous ignorer, ils doivent bouder notre si longue absence. Nous avançons mais l’esprit est en vagabondage, le dernier stage m’envoie encore ses images, je reconnais les voix, j’entends encore les confidences. Mais il faut ne penser qu’au présent, alors j’avance. L’archipel des Bruzzi reçoit en premier son  rayon de soleil et nous fonçons, comme l’insecte insouciant, vers la lumière. Il y a de grande chance que les îlots interdits aux hommes par le parc marin, ne soient pas vides de « copains ». Le patron est là, l’aigle pêcheur semble endormi mais c’est mal le connaître, il surveille la moindre écaille qui s’approcherait de la surface. Un peu plus loin une bande de canards essaient de se faire oublier, mais le pagayeur inquiète les gars du coin, coin !  Dans une faille je surprends des inconscients en train de rêvasser à un banc de sardines. Des barracudas qui doivent se faire dorer la pilule, avant de se faire dorer dans une poêle, aurait pu rajouter la mascotte ! Les cormorans au garde à vous, sont attentifs à ma cadence. Dans un ordre impeccable ils se jettent à l’eau pour fuir l’unijambiste rêveur, au corps marrant. Pagayer est une excuse pour partir dans ses pensées, pagaie et rêve serait la devise du moment. J’aurais plein de raison de penser à des idées noires et seulement quelques unes, belles et lumineuses. A votre avis qu’ai-je choisi ? Oui ! La lumière, celle qui cicatrise les plaies béantes, celle qui fait un peu oublier le passé. Le droit de se plaindre à été aboli  à bord de cet équipage, Jo Zef acquiesce. Le moment est simple mais pourtant il est intense. Rien derrière, ni devant, juste maintenant, un coup de pagaie après l’autre.  Arrêt sur ma plage « privée » et dégustation du moment. L’eau cristalline me dévoile ses secrets, un mâle girelle doit surveiller son harem de 40 femelles, s’il viendrait à disparaitre la plus ancienne femelle se transformerait en mâle pour endosser le rôle de chef de clan ! Vous avez dit exceptionnelle, moi je dirais fantastique. Et dire que certains comptent quand il ne faut que regarder, que d’autres règnent alors qu’il suffit de s’agenouiller pour voir le monde… La brise d’Ouest vient me frôler le visage, il est temps de rentrer…

La renverse…

28 février 2011
Le Cabochard guette le vent qui rendrait ce mouillage fatal...

Le Cabochard guette le vent qui rendrait ce mouillage fatal...

La renverse

La Tramontane est virulente pas moyen d’aller batifoler en pagayant. Je viens de recevoir finalement le nouveau flotteur bâbord de mon kayak, c’est la bonne journée pour effectuer son difficile remplacement. Immaqa est dans une posture assez causasse la peau à l’envers…

Le vieux ponton de planches ajournées me demande toute ma vigilance, une maladresse et hop le couteau fétiche au bain. Les rafales sont typiques à la Tramontane, violentes et désordonnées, l’eau de l’abri est verte, mais quelque chose semble changer. Le courant imperceptible pour l’urbain vénérant le Dieu Chronos, ne pourrait le déceler, mais l’habitant de la mer lit un flux d’eau léger opposé au vent. Les oblades reviennent par dizaines se réfugier sous mon vieux Cabochard, la baie retrouve une vie sous-marine agitée, le prédateur chasse et les cormorans huppés ont bien compris que le restaurant  venait d’ouvrir. Par vent d’Est, le poisson rejoint les profondeurs, mais que diable leur prend-il de venir narguer le pagayeur-réparateur de kayak blessé ? Les nuages semblent effectuer un remplacement, la deuxième mi-temps est donnée, je sens la renverse. Le calme envahit la baie, plus un bruit, tout est perceptible. Là-bas au loin un faible ron-ron, une voiture doit se rendre aux courses incontournables du samedi, un claquement soudain !… Des marcassins sont depuis peu orphelins.

Je stoppe mon activité, je savoure la quiétude, un air de Yukon me caresse le visage. Le silence, celui qui ouvre la voie, celui qui fait trembler le nomade bruyant. Plus le moindre air, je retiens ma respiration car je sais que cela sera éphémère. Un grand splash, un loup vient de capturer sa proie. L’aigle balbuzard tournoie lui aussi en quête de pitance. Le pavillon arborant la tête de Maure se redresse, la liberté retrouvée il affronte le p’tit Maestrale qui décide de nous rendre visite. Là-bas au large, la barre sombre nous présage un bon vent pour une nuit au mouvement de la houle berçant l’unijambiste errant.

Immaqa a retrouvé sa jeunesse avec une réparation d’une belle blessure d’expédition et sous sa nouvelle bâche il va pouvoir, comme son ami, attendre un nouveau départ pour d’autres aventures à cloche pied…

Cap vers l'aventure...

Cap vers l'aventure...