Epilogue Kiffaanngissuesq

15 septembre 2017 par Frank Laisser une réponse »

Le quart d’une année s’est écoulé, 3 mois d’aventure, 90 jours de baroude, des pierres blanches posées sur la route sinueuse de ma vie parfois ténébreuse. Plus qu’une expédition, ce fût un chemin de croix version polaire. Si chaque soir j’ai réussi à transmettre un journal de bord ce ne fut que le bout de l’iceberg qui apparaît, les 9/10éme ne se voient pas. Je n’ai pu l’écrire, je n’ai pu le partager, trop enfoui au fond de mon âme meurtrie, trop ancré dans mes cicatrices affectives. Le retour est toujours très violent, le bruit, la foule, la chaleur, le téléphone… mais le mot-clé est : s’adapter. Un décrochage volontaire de ce qu’est fait le quotidien de vie en région du sud. Aucune information de l’extérieur ne m’a heurté, aucune possibilité de savoir, une vie dans une bulle face à une nature immense avec la rencontre rare d’hommes et de femmes qui eux aussi sont isolées de la fourmilière. Quand tu as fait ta journée de kayak, monté le camp, écrit les quelques lignes de ton journal de bord, grignoté les restes d’un paquet de nouilles chinoises et réparé ce qui était réparable, le vide, le silence, l’ennui s’installaient à mes côtés. Je les ai détesté, je les ai écouté, puis je les ai apprécié. Sacrés conseilleurs, qui t’ouvrent les yeux, sur ta vie. Quand je pensais à « mon moi » d’en bas, je me disais que cette existence méridionale n’était plus mienne, que jusqu’à présent je m’étais trompé de route. Puis, après une nuit de repos, entrecoupée d’écoute du vent sur la tente, de pas d’une bestiole en quête de nourriture, le sud me revenait plus cool, moins pervers. Alors je poursuivais mon « catenaccio » ! L’avantage de vivre de cette manière, c’est que tu démontes tout ce qui semble acquis, tout est remis en question et d’un coup tout devient clair comme de l’eau d’iceberg fondu dans une gamelle au soleil. Tu ne peux te mentir, encore moins à tes semblables, puisque tu es seul, tu essayes de ne pas juger, de ne pas penser au pourquoi des autres. Par moments pourtant, ma petite île estivale et son invasion me revenait en tête, l’incompréhension me montait à la gorge. Mais fallait-il être complètement dingue pour s’entasser à paquet sur une terre brûlée par la sécheresse. En Europe fallait-il avoir perdu pied, pour que les hommes s’entre-tuent lâchement à ce point ! L’égo, les œillères, le manque de lucidité par une fausse surinformation, la perte de repère, rendaient mes semblables comme les ammassat (capelan), qui viennent mourir en masse sur les plages du Groenland fin juin sans savoir pourquoi, justes guidés par l’instinct. Mais si les animaux ont ce don, l’homme, l’a depuis longtemps perdu, l’habitude est venue son moteur, les écrans, ses images de référence. Alors je revenais sur « mon moi » et poursuivais ma route, en me moquant gentiment des « autres », mon Dieu qu’est ce que j’étais hilare parfois. Si une immense plage devenait le camp du soir, dans ma barbe je riais à n’en plus finir, pas un parasol, pas la moindre odeur nauséabonde d’ambre-solaire, les paillotes à touriste manquaient à l’appel, juste des traces d’animaux en vadrouille, des restes d’ossement et une tente seule au monde. Vivre en ne pensant qu’à l’instant présent, car le futur est trop fort, trop insurmontable pour qu’on puisse, ne serait-ce qu’une seconde, y penser ! Cette vie à la minute en se disant, là, maintenant, je suis bien. La déferlante, le courant contraire, les averses de neige, la glace qui bloque la route, la crasse qui ne te lâche plus, un quotidien de gladiateur, certes, mais qu’est-ce que cela fait grandir. La moindre miette de vie, devient spectaculaire, le moindre oiseau qui se pose à portée de prothèse vaut toutes les chansons d’amour de la planète. Au bout d’un temps les aléas deviennent ton quotidien, ils prennent moins de place. Un ruisseau devient une salle de bain 5 étoiles, une brise de sud-ouest chassera les nuages de moustiques, une morue trop curieuse t’offrira un repas de milliardaire. La vie simple devient sublime, les petites choses sont enfin appréciées. Les mots me manquent pour vous décrire ces 9/10éme d’iceberg. Un tsunami m’a coupé la route, il m’a appris à dire non, d’ailleurs sans lui très sincèrement je ne pense pas que j’aurai continué, de toute façon je ne le saurai jamais. Le retour sur mes pas a été salutaire, encore une leçon de vie. A l’aller j’avais peur de l’inconnu, au retour malgré le manque de nourriture seul les vents contraires m’ont gêné, le reste était plus facile. Lire la mer, comprendre la glace, là –haut il me faudra une vie pour apprendre. Mon arrivée au village d’Oqaastut fut spéciale, un mélange de soulagement et une folle envie de poursuivre ma vie de nomade, mais la raison m’a fait poser mon sac. 42 habitants qui d’un coin de l’œil ont observé sans juger, le blanc boiteux s’installer. Ici on ne te cause pas pour rien dire, même se serrer la main c’est un « truc » en trop. Chacun survit en harmonie avec la saison, ici pas de printemps, ni d’automne. Un été de 4 à 5 semaines et le reste c’est un hiver qui forge les hommes. J’ai dû apprendre le protocole local, à mon tour j’ai beaucoup observé pour comprendre, je n’avais pas le choix puis par moments des contacts m’ont apaisé, j’ai appris à être silencieux, a ne pas parler fort, à cultiver le mutisme dans la conversation, mon comportement à du les convaincre que je n’étais pas un conquérant et que je ne le serai jamais… Ces 3 mois se sont envolé, j’ai eu la joie de les vivre intensément, je vais y retourner car j’y suis bien, la remise en question quotidienne m’est bénéfique, les chemins faciles m’ennuient, le confort a le pouvoir de nous ramollir, là-haut c’est une existence de Free-man, sans contrainte.

Avant de refermer ce livre, des partenaires fidèles et amis m’ont permis cette expérience et je tenais à les remercier.

Merci à Columbia, qujanaq Charlotte. Merci à Nautiraid, qujanaq Véronique. Merci aux Glacières d’Ajaccio, qujanaq Pasquale et Pierre-Marie. Merci aux centres de prothèse Lagarrigue, qujanaq Alain et Ludo.  Merci à 66° Nord, qujanaq Quentin. Merci aux mécènes qui veulent rester dans l’ombre. Merci à France Bleu RCFM, qujanaq Jean-Charles. Merci à Audrey, web-sister du journal de bord. Merci à Corse-Matin, Qujanaq Nadia. Merci à Patrick, animateur du groupe facebook Boutdevie. Qujanaqsuaq, Julien, Charlotte, Ben, Steen, John, Ole, Bertheline, Brieuc, Sigvard, Zia, aux chasseurs et pêcheurs inconnus qui m’ont offert le kaffi (café) et un morceau de viande…

 Qujanaqsuaq à vous tous qui m’avez envoyé des messages de soutien, merci du fond du cœur… Je vous à dis très vite pour de nouvelles aventures Bout de vie.

La vie n’est pas que la réalisation de ses rêves, la vie est une succession d’émerveillement à nous d’en être les chercheurs, puis les preneurs…             

KIFFAANNGISSUESQ (homme libre)

 

11 commentaires

  1. patrick chiappalone dit :

    Non :

    MERCI à toi car tu es un exemple de courage pour nous tous.
    Merci à toi pour ta passion du monde.
    Merci à toi pour ton altruisme.
    Merci à toi pour toutes ces leçons de vie.
    Merci à toi pour tous que tu donnes même si parfois certains(es) en profite. Mais ce n’est pas grave.
    Merci à toi grand frère.

  2. Barbara ADELL dit :

    Merci à toi l’Homme libre,qui nous fait voyager et surtout qui nous fais réflechir à nos vies et nos envies …peut être un autre beau livre…c’est tellement un plaisir de lire les mots d’un Freeman Groenlandaicorse.
    Qujanaq !!!!

  3. Brigitte B Marcozzi dit :

    merci au freeman pour cette belle aventure et ces valeurs hélas oubliés par trop de gens mais merci aussi à vous tous pour l’amitié que vous avez témoignée à Frank durant tout ce périple. Un gros clin d’oeil à Patrick pour ses messages hilarants mais qui cachaient en vérité des angoisses enfouies et un grand attachement au neveu. Beau ! et bonne continuation à tous Zia

  4. Brigitte B Marcozzi dit :

    rectificatif !! je commence à yoyoter ! :
    un grand merci à Patrick pour ses messages toujours positifs et à Popeye pour avoir réussi à nous faire rire alors qu’on stressait lors des moments difficiles.
    ……et à toute l’équipe.

  5. Philippe Fifad dit :

    Où l’aventure devient profonde et émouvante sagesse partagée de belle façon !

  6. marie dit :

    Merci à toi d’être l’HOMME que tu es tout simplement …
    Bon retour chez toi et bisous 😉

  7. Isabel CARLOS dit :

    Ma devise dans la Vie que je me suis donnée c’est « L’audace est la meilleure amie de l’espoir » … mais j’ aurais jamais autant d’audace, de courage pour affronter tous ces défis que tu te donnes tout au long de ta Vie …. Merci d’être un exemple de bonté, de sagesse, de courage, d’honneteté …. La Vie serait tellement belle pour tout le monde si chacun prenait conscience que la Vie est une longue école et que chacun est responsable de la transmission …. merci de nous transmettre tes expériences qui sont des vrais leçons de Vie ! Bon repos à toi parmi après cette aventure dure mais encore une fois riche d’expériences. Merci

  8. lara dit :

    Juste magnifique, avec toi on a envie de partir à la conquête de l’inconnu, merci merci

  9. Lucie dit :

    Un vrai roman ton histoire, mieux que les conneries que l’on lis avec certains mytos de l’aventure et je sais que tu sais et que tu en connais sans jamais les dénoncer. Génial, j’espère un nouveau livre

  10. Georges dit :

    Respect et classe, vous êtes un homme libre et c’est rare à notre époque, très rare

  11. Marine dit :

    Mon rêve, aller au Groenland, vous donnez vraiment envie, merci de votre choix de vie

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