Du Groenland au Mont Blanc il n’y a qu’un pas!

3 septembre 2019 par Frank Laisser une réponse »

 

Un pas entre le Groenland et le Mont-Blanc…

2h du matin, le ciel est dégagé, les orages ont heureusement cessé, sous la voûte céleste des fourmis se préparent à s’approcher un peu plus des étoiles. Fred mon guide fait parti du fameux groupe PGHM de Chamonix, sa grande expérience me rassure sur mon choix, une fois de plus dingue, de gravir le Mont-Blanc. Il y a quelques jours j’étais encore au Groenland avec une prothèse qui me blessait, là, je suis au pied d’un géant de glace qui se moque bien de ma différence et des mes petites tracasseries. La priorité de cette longue journée sera la légèreté du sac à porter, il devra être minime mais complet. Nos baudriers ne seront ôtés que ce soir, la longe sera plus au moins courte suivant la dangerosité du terrain. Mon binôme ouvre la route, le glacier des Cosmiques me rappelle le pays de Nanoq, mais ici, il y a l’altitude en plus. Une équipe de 4 personnes nous accompagne, le silence nous envahit, chacun est dans sa bulle, dans son histoire. Le chef de cordée de l’autre groupe vient à ma hauteur, ma préparation l’a interpellé, ma différence aussi. En quelques pas il me raconte l’histoire de sa sœur paraplégique depuis l’âge de 15 ans, ses silences m’en disent plus que de longs discours.

Le terrain prend du dénivelé, le premier danger va nous tester. Sous un sérac nous devons nous faufiler, des géants de glace prêts à tomber nous jugent, nous observent, nous analysent, ouf, ils nous ont laissés passer sans le moindre accroc. Puis c’est ma première difficulté, il faut franchir un mur de glace de 4mts de haut. Crampons aux pieds et un seul piolet, il me faut beaucoup de concentration et de force pour passer. Fred me met au pied du mur de glace : Là-haut ce sera beaucoup plus long et difficile. Mon sang se glace, c’est normal me diriez-vous, il est 3h du matin et nous sommes à 4000mts d’altitude ! Pour avancer il me faut trouver mon rythme sans aucune pensée parasite, mes gestes doivent être eux aussi au plus simple tout en étant efficaces. Devant moi un homme que je considère comme un géant de l’alpinisme, je me sens « gauche », médiocre, perdu, nul à vomir ! Nous doublons une cordée de deux gars qui semblent en difficulté, cela me booste un peu, je me sens moins nul, puis une deuxième, tous feront demi-tour. Je réalise que maintenant nous sommes seuls devant. La nuit est juste magique, le froid n’est pas si terrible que ça, bien que la température soit négative, je pense que mes escapades polaires m’ont aguerri. Nous y voilà ! La paroi nous stoppe, il faut trouver la bonne voie. Je sens Fred très concentré, il doit réaliser que son binôme doit avoir le signe astrologique lorrain de « quiche » ! Il m’explique ma tache, les broches à glace à récupérer, la manière de planter le piolet et de me hisser avec mes deux mains, de cramponner violemment la paroi pour être en appui… L’ascension se corse, aurait dit Pascal Paoli !  Fred part en tête, la cordée de 4 arrive, nous nous cachons dans une crevasse, des pluies de glaces semblent vouloir nous lapider d’être là. Ça y est, il est arrivé au premier relais, c’est à moi. Le froid, en attendant la fixation de la ligne, a commencé un travail de sape, mes mains qui ont déjà gelé au Groenland me rappellent à leur bon souvenir. Je m’élance, j’ai la boule au ventre, je sais que je dois tout donner et encore plus pour passer. Mes chaussures n’ont pas de semelles rigides, le choix d’avoir du léger pour ne pas blesser mon moignon a sacrifié du confort pour grimper, je redoute de perdre le crampon côté prothèse. Au premier mètre, une pluie de glace me secoue, mon casque évite le pire mais un impact sur le visage me fait craindre la grosse blessure. Le sang coule jusque dans ma bouche, mais je suis lucide, cela doit être une simple égratignure. Je progresse, je m’accroche, je me sens si nul, je râle à n’en plus finir. Soudain la prise de mon piolet cède, je glisse, je suis dans le vide maintenu que par un bout de ficelle à plus de 4000mts d’altitude. Fred me sécurise, mais je sais que je dois vite réagir, reprendre mes esprits et surtout quitter cette paroi infernale. Soudain je découvre pourquoi j’ai décroché ! Mon crampon droit n’est plus en place sur mon pied en carbone. Oh bordel, je ne vais quand même pas rajouter mon nom à liste des disparus en montagne. Sur une patte et avec un seul piolet j’atteins un piton rocheux pour me refaire une santé, mes mains sont gelées, je sais que ça va aller mais dès que le sang va revenir je vais morfler. Comme par miracle Medhi, le chef de cordée du quatuor que nous avons doublé, arrive sous moi. Instinct de survie, solidarité, il me propose de me caler pour me refixer le crampon… Esprit de montagne où les hommes s’unissent pour moins mourir. Fred est arrivé enfin au col du mont Maudit, il me reste 40mts de paroi à gravir, en dessous les lumières des lampes frontales de mes 4 coéquipiers semblent minuscules. Dans un effort surhumain, j’arrive au col, le petit jour pointe le bout de son nez, mon binôme me félicite, de mon côté j’en ai envie de vomir tellement j’ai forcé. Nous faisons un break, la cordée de 4 arrive, tout le monde est éprouvé mais fier d’être passé. Le sang revient dans mes doigts, j’ai l’impression qu’ils vont exploser, mais je me souviens de mes expériences hospitalières passées, je vais minimiser ce moment. Nous reprenons la route par une longue traversée au travers d’un glacier très pentu, bien sûr nous sommes toujours encordés, bien sûr la vigilance reste toujours accrue. Le soleil vient enfin au rendez-vous, il nous inonde, nous rassure, nous réchauffe, la journée ne fait que commencer alors que cela fait déjà 5h que nous grimpons. Puis là, devant nous, le tronçon pour atteindre le dôme du Mont-Blanc. Le piolet est rangé, les bâtons vont être mes jambes supplémentaires. Il y a 30 cm de poudreuse et par ce côté-là, très peu fréquenté, le passage n’est pas damé. Un pas devient vite à cette altitude, un vrai exploit. Il va falloir gravir encore 410mts de dénivelé, je ne pense qu’à l’instant présent. Fred ouvre la route, je le vois aussi souvent trébucher dans la poudreuse, de mon côté c’est une fois sur deux. Mon souffle est saccadé, mais ce qui me rassure c’est que mon moignon ne me fait absolument pas souffrir. La cordée de Medhi et Thom sont devant, eux aussi avance doucement mais ils prennent un peu d’avance, je me sens diminué, mon esprit de compétiteur me mine mais je dois rester dans cet instant présent si important. Comme j’aime le dire aux sportifs de haut niveau que je croise régulièrement ou militaires de haut vol, il faut mettre le cerveau sur le côté et avancer sans gémir et trembler… 9h05, je pose enfin la prothèse au sommet du Mont Blanc, la brume nous envahit en même temps que je reprends mon souffle. Mutuellement nous nous félicitons, chacun est fier de son Bout de vie. En même moment que nous déployions la bannière « CimAlp Bout de vie » Mehdi et Thom avec leur binôme, s’afférent sur leurs parapentes ultra-lights pour s’envoler vers la vallée. Je savoure ce moment de grâce, de libération. Fred me filme, l’émotion m’emporte, les blessures du passées semblent couler par mes yeux pour s’envoler vers les cieux où reposes mes années noires. J’appelle ma chérie, c’est pour la deuxième couche…

Comme par miracle la brume s’évapore, le monde des fourmis du bas nous apparaît, cet instant est magique, sublime. Nos copains de cordées s’envolent comme des farfadets des neiges, avec leurs voiles ils seront en bas dans ½ heure. Quant à nous, il faut reprendre la route par la voie du Goûter. L’arête se dévoile devant nous, cette partie du Mont Blanc est très fréquentée, à chaque croisement, après le salut d’usage multi-langue, il faut être prudent pour ne pas être happé par le vide. Chaque pas nous délivre du manque d’oxygène, mais aussi de ce moment de privilège. Nous atteignons la cabane du Vallot, sans trop s’arrêter d’ailleurs. Le pain noir et la viande séchée sont les bienvenus cela fait déjà 10h que nous marchons. Les couches, aussi diminues. Finalement nous passons au dessus du refuge du Goûter qui ressemble plus à un vaisseau spatial, qu’à un refuge de montagne. Paradoxe de la solitude des cimes, il faut s’y prendre 6 mois à l’avance pour avoir le droit de s’y reposer quelques heures ! Au bout de l’arête nous atteignons une plateforme pour enfin enlever nos crampons, mais un autre piège nous ouvre ses bras, le pierrier du Goûter, soit environ 600mts de dénivelé dans un amas minéral qui refroidirait n’importe qui, parole de tête brûlée boiteuse. Les crampons sont pliés, rangés, ma prothèse semble s’envoler, bien qu’elle ne me fasse pas mal du tout. Par une échelle de 5 barreaux je pars en premier, le vide et les chutes de pierres se disputent la place du méchant de service. Un câble en acier inoxydable sécurise le parcours, bien que nous soyons toujours encordés. Au fil des minutes, je m’adapte aux pierriers, nous doublons même des personnes, cela me rassure sur ma sensation d’être en mode enclume ! Sur notre tribord, oups, droite, il y a une sorte de vallon de cailloux, par moment sans crier gare, des blocs se détachent et s’envolent vers l’aval, dans un bruit funeste et lugubre. Au bout de 2h de descente sans encombre, il nous faut traverser ce « maudit » vallon. Dans son job de sauveteur en haute montagne Fred à beaucoup ramasser de morts ici. Ce coupe-gorge doit être traversé à vive allure. Par sécurité, je ressors les bâtons, prend un grand souffle et m’élance à fond sur ce piège à rats. Ces 40mts de traversée, je les ai survolé sans penser à quoi que ce soit, juste : objectif passer au plus vite et sans boiter !

Nous y voilà, les dangers sont presque derrières, mais tant que nous ne serons pas dans la vallée, il me faut être vigilant et concentré. Au pied d’un glacier, j’ai envie de vérifier mon moignon, qui pour l’instant a bien résisté. Comme j’aime le faire en région polaire, je vais me servir de l’eau de fonte pour me laver un peu. Waouh quel bonheur, cela vaut toutes les salles de bains du monde. Frais comme un jeune chamois, je peux reprendre la route. Encore un immense dénivelé nous attend, je crois que c’est le refrain de toutes les hautes routes. Bien que mon moignon ne soit absolument pas blessé, des douleurs fantômes me donnent du fil à retordre. Mais je ne suis pas là pour me plaindre, pour gémir, alors mes bâtons me soulagent pour essayer de ne pas louper le dernier train pour la vallée. Une ribambelle de chamois squatte le sentier sans s’inquiéter pour autant, la montagne, ici est minérale, hostile, tueuse. Je n’ose même pas l’imaginer sous l’orage. Finalement la gare du petit train se dévoile, cela fait 14h40 que nous crapahutons dans le massif du Mont Blanc.

Une page est tournée, une belle aventure notée sur le calepin de ma vie d’aventurier à cloche pied.

Merci à l’équipe CimAlp d’avoir monté le projet. Merci Florian qui a pensé l’histoire, merci Marie la coordinatrice, merci Lionel le big Boss et merci à Fred Souchon d’avoir eu la patience et la maîtrise de m’avoir guidé dans cette magnifique aventure.

Vous êtes des milliers à suivre les aventures d’un cabochard boiteux et têtu, je vous en remercie du fond du cœur, vous êtes ma force. Un remerciement aussi à ma belle Niviarsiaq qui m’a beaucoup épaulé, soutenu, écouté, soigné…

Vive la vie…

A pluche comme dirait ma mascotte Jo Zef !

 

 

60 commentaires

  1. Patou2a dit :

    Toujours aussi agréable et palpitant de te lire 😉
    Tu en as bavé, tu as su rester humble, tu t’es régalé,
    Vive la Vie
    Bisous Sacré Cabochard

  2. Florian Olivier dit :

    Rien à ajouter… C’est tellement beau et poignant Heureux que l’histoire écrite sur le papier ait pu se réaliser sur le terrain Bravo les aventuriers. Et la prochaine fois, on en fait une tous les 3

  3. Marie Mathias dit :

    1000 mercis pour ce récit poignant Frank.
    Tu écris aussi bien que tu vis.
    Merci pour ta confiance dans ce projet.
    Merci pour ta persévérance, pour les leçons de vie…
    Merci pour ce bout de vie partagé ensemble.

  4. Seb Olivier dit :

    Super récit, Bravo pour la perf!!

  5. JP Cluset dit :

    Super recit. La classe. Encore Bravo Frank

  6. El ZA dit :

    Enfin Frank!! Comment pouvez-vous penser être nul?? Bravo pour votre endurance et votre résilience. Et merci d’être un exemple et de montrer que tout est possible!!

  7. Marie-Odile Cunin dit :

    Quelle classe Frank, merci pour vos beaux récits votre courage sans limite. C’est une leçon de vie incroyable. Bravo à vous ne changez rien. Encore merci pour vos belles aventures

  8. Nath Lespibig dit :

    Bravo Frank !! Encore une belle revanche à la vie !!! Félicitations

  9. Nasro Oran dit :

    Je vous admire

  10. Martine Leroy dit :

    Bravo les gars

  11. Llorens dit :

    Bravo

  12. Nad Frejus dit :

    Bravo félicitations super

  13. Philippe Titrant dit :

    Bien joué Franck, un bel exemple pour tout le monde. Merci d’avoir partagé ce jolie bout de vie

  14. Sophie Veret dit :

    Bravo à toute l équipe

  15. Brigitte Meunier dit :

    Ah oui bravo à vous Franck Bruno que j’ai rencontré en Corse..vous descendiez de votre vélo, vous avez changé de prothèse et vous nous. Avez fait découvrir votre bateau et fait connaître votre mission..chapeau

  16. Michele Santoni Bernard dit :

    Bravo Franck !merci pour tous ces beaux reportages félicitations !!

  17. Gégé Pic dit :

    Félicitations à vous , un grand bravo

  18. Joelle Culioli dit :

    Joelle Culioli Bravo c’est super

  19. Suzon Lanteri dit :

    Bravo Franck, bel exemple pour nous tous, les valides…Bon repos maintenant, je t’embrasse très fort

  20. Suzon Lanteri dit :

    Françoise Pinget Bravo Franck toutes mes félicitations maintenant il faudra vous reposer merci de m’avoir fait partager vos aventures longue vie à vous et votre chérie je vous embrasse amicalement

  21. Maryline Choubrac dit :

    Un très grand bravo pour cette belle performance, vous êtes incroyable ! J’espère que vous allez fêter ça comme il se doit !

  22. Mady Bellegarde dit :

    Félicitations un bel exemple de ténacité.

  23. Isabelle Vagrinbol dit :

    Toutes les émotions doivent être au RDV Bravo pour cette ascension et…vive la Vie

  24. Anne Marie Topalian dit :

    Félicitations à tous et toutes magnifiques photos sur votre facebook officiel

  25. Marie-Odile Cunin dit :

    Bravo Frank, c’est une belle leçon de vie que vous avez donnés. Vous avez une équipe de personnes formidables maintenant vous pouvez vous donner un petit moment de repos ! Bonne journée

  26. J-luc Labrousse dit :

    BRAVO. Encore une fois bravo Franck. Basgi

  27. Ta Shi dit :

    Félicitations mais quel exemple incroyable pour les jeunes de ton asso… Quel superbe challenge de remporté ☺️ bon repos, Frank, sommes tellement heureux pour toi.

  28. Nadine Seasal-Lottier dit :

    Bravo

  29. Sandra Canonici dit :

    Bravo Frank
    Encore une belle leçon de vie

  30. Jean-Marc Delpeut dit :

    Bravo et félicitations Frank, tu as encore une fois accompli un truc de ouf, et si on dit familièrement que les alpinistes sont les conquérants de l’inutile, cela ne peut t’être appliqué sachant ton engagement pour une si noble cause que ton association « Bout de Vie »

  31. Françoise Fournel dit :

    Félicitations

  32. Martine Toulisse dit :

    Bravo pour cette ascension. Je suis ravie car vous êtes un incroyable exemple pour tous. Maintenant vous avez droit à du repos au soleil et avec votre chérie. Biz et à bientôt.

  33. Andre Frutschi dit :

    Vives félicitations

  34. Isabel Mouchel-Vallon dit :

    Isabel Mouchel-Vallon Félicitations Quel bel exemple pour tout le monde ! Merci

  35. Pascal Philippe dit :

    Bravo !!!

  36. Grégoire Ferrari dit :

    Bravo l homme

  37. Patricia Labalette dit :

    Félicitations encore un défi d’accompli

  38. Nicole Ollivier dit :

    Félicitations à vous

  39. Jeanne Marie Braban dit :

    BRAVO….Quelle ténacité

  40. Virginie Leroy dit :

    Encore Bravooooooooooo à toi et ton guide tu as un challenge de réussi de plus sur ta liste. Rien ne t’arrête.encore Bravo

  41. Ludovic Renaud dit :

    Bravo Franck … continue à nous en mettre plein de les yeux …. Je te suit et j’espère bien marcher sur ta vois .. bravo …

  42. Jean Pierre Caux dit :

    Chapeau..

  43. Christiane Pierrard dit :

    Un héros bravo

  44. Benoit Bourgeois dit :

    GÉÉÉÉÉNIAL !!! Bravo à vous !
    Je l’ai fait il y a quelques années mais je suis redescendu par les Grands Mulets et le glacier des Bossons.

  45. Loulou Sipp dit :

    Grand Bravo, respect

  46. Gil dit :

    Félicitations

  47. Marie-line Schott dit :

    Félicitation Franck un vrai Guerrier !!.et également à ton équipe et Cimalp

  48. Stéphane Thomas Hornung dit :

    Bravo Frank Bruno ! Taille patron

  49. Barbara Adell dit :

    Ça c’est fait ! Un exploit de plus pour le Freeman Corsico Groenlandaisbravo

  50. Christophe Dreux dit :

    Bravo Frank, tu es le meilleur

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