La rivière des insoumis…

14 novembre 2011 par Frank Laisser une réponse »
Photo Eric Volto

Photo Eric Volto

J’avais affronté les aventures les plus terribles, les éléments avaient fait de ma peau un parchemin, mes yeux avaient déjà rencontré la misère, les hommes m’avaient à maintes fois trahis, plus rien ne semblait m’effrayer mais pourtant j’étais à la veille d’un grand départ qui me terrorisait. Je m’étais mis en tête de descendre la rivière des insoumis…

Mon kayak « Immaqa » était fin prêt et malgré un nuage de tristesse je serrais dans mes bras une dernière fois ma princesse. La rivière minuscule serpentait une forêt dense et noire. Le silence envoutait ce lieu perdu. Je m’étais juré de ne pas pleurer pour mon départ mais des perles suintaient sur mon visage. Le vieux druide des lieux m’avait dressé une sorte de « road book », mais je l’avais pris pour un fou, il était impossible que je puisse rencontrer ce qu’il m’affirmait.

Je prenais la cadence, le ciel anthracite lâchait ses premières hallebardes et le pagayeur pagayait, quoi que de plus normal, non ! Au détour d’une courbe interminable, des rapides me barraient la route, je me calais comme pour partir à la guerre quand soudain des Elfes venaient à ma rencontre. Elles chantaient, elles dansaient, une moins timide, se posa sur ma proue : « Bonjour beau jeune homme, vient sur la berge, arrête ton voyage, tu verras ici tout est facile, plus de souffrance, fini les nuits terribles… ». Je ne pouvais croire en cette apparition puis me revenait en tête le discours du vieux druide, les fées du mal. Elles travaillaient pour un ogre insatiable, qui engloutissait tout être affaibli, il n’avait aucune règle, tout était excuse pour assouvir sa fringale démesurée. C’était le monstre de la surconsommation. La barre d’écume me barrait la route, je pris ma respiration et poussai au plus fort de mes capacités sur les pagaies pour passer les rapides malfaisantes. Les pestes ailées tentaient une dernière approche mais je les chassais d’un coup de rame. Le calme était revenu, je reprenais la veine du courant qui me portait je ne sais où. La tristesse du départ s’atténuait, mais j’avais compris que je n’étais qu’au début d’énormes surprises. Un îlot bien isolé m’accueillit pour y planter mon bivouac, pas de trace suspecte, je pouvais m’y installer. Le feu crépitait et la première étoile me tenait compagnie. Un bruit étrange me refroidissait, des pas, quelqu’un arrivait ! Derrière un massif d’épilobes, je croisais les yeux d’un monstre, la taille et la laideur du grizzli avec un regard démoniaque. Il se dressait sur ses pattes arrières et fonçait sur moi. Un éclair et je me remémorais les propos du vieux : « La peur prendra une forme animale et viendra t’affronter ». Je le fixais et chassais mes émotions, je lui riais au nez et l’invitais à prendre place au festin de saumon qui grillait. Lui tournant le dos je sentais son souffle, l’odeur de la mort. Je m’asseyais en douceur et déposais sur l’ardoise du poisson rose, je me devais de régaler mon hôte, ce n’est pas tous les jours que la peur s’invitait à mon camp. « Je sais que tu es un  monstre mais ta présence me tient compagnie, de toi je vais apprendre et je veux commencer de suite ». Le plantigrade se mit à hurler, à frapper le sol avec violence, la terre semblait se dérober à chaque coup assené. Puis comme par enchantement, il se couchait, se mit en boule pour dormir. J’avais compris qu’il ne me lâcherait jamais mais ne devais surtout jamais lui donner de l’importance.

Au petit matin je reprenais la route, la peur me suivait sur la berge, alors je sifflotais quelques airs d’harmonica. La journée se déroulait sans peine, la rivière des insoumis était belle et sauvage. Un camp de pêche se présentait sur mon bâbord et j’y faisais relâche. On me proposait de me reposer, un hameau paisible où la vie semblait douce et agréable. L’unique ruelle était fleurie et les enfants joyeux m’amenaient à ma demeure. Une étoile accrochée au dessus de la porte d’entrée donnait un côté romantique. Je ne pouvais refuser une telle aubaine, mais soudain la prédiction me revenait, j’allais croiser, l’oisiveté, celle qui tue le rêveur. Je m’accordais une seule nuit et au matin bien avant que le village ne s’éveillait je reprenais ma route. En face l’ours de la peur, m’attendais, je me moquais de lui : « Alors t’as dormi dans la boue ? T’as bien raison de me suivre, au moins je me sens moins seul ! »

Les jours se succédaient avec ses rencontres improbables, le corbeau me saoulait avec ses compliments, je savais que son seul objectif était de me dépouiller de mes guenilles alors je le prenais en dérision. Le castor voulait que je stoppe tout pour construire le plus beau barrage de la région. Plusieurs pièces spacieuses remplies de feuilles de bouleaux pour les longs hivers, un travail de longue haleine qui allait me demander de rester là des années à construire, construire. Tout cela pour avoir toujours le même couché de soleil… Non j’étais un nomade et poursuivais ma route. Le loup m’interpellait : « Suis moi et nous ferons une belle équipe. Ensemble nous serons forts, la biche et l’élan seront à nos repas chaque fois que la faim nous le demandera.» Tuer le faible pour nourrir le fort, non merci ! Immaqa semblait tout entendre et nous foncions vers notre destin…

Un jour de brume là bas au loin je vis enfin l’horizon, l’océan à perte de vue, la fatigue et les rencontres du voyage m’avaient donné encore plus l’envie d’une vie d’errance. La peur m’avait tenue compagnie et les démons m’avaient testé mais la détermination m’avait amené sur cette mer si pure et puissante au doux nom de liberté.

3 commentaires

  1. Véronique dit :

    Bonne route ..

  2. yoann dit :

    bonjour , frank , que ta route soie bonne , grande pensées pour toi !! ……….

  3. MAYSPE dit :

    Dans l’effort, tu feras le plus que tu pourras.
    Dans la vie, tu donneras plus que tu recevras, et tu prendras avec joie tout ce qui viendra à toi.
    Quels que soient les événements, tu positiveras et toujours, content tu seras!

    Bien à vous

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