Escorté par les baleines
6 août 2017Brouillard, calme plat, Immaqa cherche la passe pour quitter ce havre de paix. En face, là-haut sur une crête, le renardeau m’observe, ah quand le reverrais-je ? Jamais certainement… Il me faut traverser devant le détroit de la grande mer intérieure Pakistup Ilordlia, la passe est moins mouvementée qu’avant-hier, nous sommes à marée haute. Je ne sais quel moustique m’a piqué mais j’ai voulu voir si je pouvais naviguer là dedans, une vraie idée de génie ! A peine j’embouque le goulet que je me sens aspiré mais d’une force terrible, l’océan est en train de rentrer dans ce trou à rat et moi, le rêveur de service, en train de me laisser perdre. Il me faudra une énergie folle pour en sortir, parfois je me demande si je ne vais pas un peu me les chercher. Sorti du flux, je peux observer la côte intérieure qui est abrupte, que de hautes falaises se jetant dans la mer, aucun moyen d’accoster. Remis de mes émotions, je scrute la brise qui va me balader aujourd’hui, elle semble dans le bon sens…
Après la pointe Sarfaq, j’ai l’option droit vers le sud-ouest mais au large ou alors raser la côte doucement. Mon choix sera entre les deux, pas trop près de la rive mais assez loin pour choper le vent portant et gagner du terrain. Bam, là devant moi, maman et petit côte à côte, juste pour l’équipage d’Immaqa. Deux baleines enfin se laissent un peu approcher, si près que le baleineau, curieux du « truc » rouge qui flotte, vient nous tourner autour, à un moment, j’ai failli avoir le tournis !!! Un cadeau matinal qui m’a enchanté, ici si les conditions sont perpétuellement extrêmes, elles réservent toujours des surprises fabuleuses.
Le golfe de Pakitsoq ne m’inspire que peu de confiance alors je ne traîne pas, plus vite j’en serai sorti mieux ça vaudra. Pour une fois depuis 47 jours, le courant est en notre faveur, régulièrement je cesse de pagayer pour voir si je ne rêve pas. Non, nous sommes portés. Là où il m’a fallu 6 heures il y a 2 jours pour le pénétrer, il me faudra aujourd’hui 2h30 pour en sortir. Tout au long de cette «croisière» polaire, à quelques 500 m, maman et bébé m’escortent. Le silence est tel que j’entends tout de leur respiration, de leur «conversation», elles doivent dire : qui sont ces bancals avec le truc rouge, qui nous regardent sans cesse ?
Au cap Niaqornaq, nous prenons une route sud, le courant est toujours en notre faveur et la mer est sans une ride, un vrai délice de naviguer aujourd’hui. L’eau à la pointe est très claire et le fond s’offre à ma curiosité, jusqu’au moment ou des centaines de morues, à quelques mètres sous nos fesses, sont en train de nous regarder passer. Là, à 10 m, une roche plate, ce soir Jo Zef, poisson frais ! Le kayak bien assuré, il me faudra un seul lancer pour assurer les protéines pour au moins deux repas. Ici tout est extrême, la richesse de cette mer est incroyable, à croire que seul ici l’homme n’a pas trop d’impact sur la nature. En bas, dans la fourmilière du sud, ce capital serait pillé ou alors protégé par des parcs marins gardés qui sont devenus des parcs d’attractions surfréquentés.
Les gros icebergs ont réapparu, le protocole de sécurité reste le même, surveiller leurs explosions pour éviter les vagues de submersion au débarquement… En face de notre étrave, une belle île semble avoir de belles dalles plates qui pourraient servir pour sortir en douceur Immaqa. Tranquillement, je pose l’étrave sur un caillou plat et décharge le matos. Mon moignon reste toujours très douloureux, le premier voyage est un calvaire, mais entre vous et moi, je ne crois pas que ce soit le lieu pour se plaindre. Vite fait, j’entreprends le tour de l’îlot, l’endroit est parfait. J’ai bien fait hier d’embarquer 5 litres d’eau potable, sur ces écueils il n’y a aucune possibilité de faire le plein. Au moment de monter la tente, un coup de vent énorme se met en place, je suis obligé de faire «l’indien» pour fixer le camp sans perdre un bout de toile. Je suis ravi, les moustiques et les brulôts seront obligés d’être planqués. Mais, en voulant mettre mon embarcation sur son chariot, celui-ci, une fois de plus se met en avarie en faisant lourdement chuter mon bon compagnon Immaqa. J’en ai mal au ventre, rien de cassé ouf, mais ce maudit chariot me sort par les yeux. Ni une ni deux, je sors la boite magique pour une réparation de fortune, le kayak est hissé hors de la marée haute et des tsunamis causés par les icebergs qui se brisent…
Ce soir, sur ce petit caillou perdu au milieu de l’océan arctique à 400 km au nord du cercle polaire, un homme libre prend le temps de savourer sa liberté. J’ai réussi à bricoler ma prothèse en lui ajoutant une cale en cuir qui semble faire son effet. Ma perte de poids a enlevé aussi du volume à mon moignon qui depuis plusieurs jours me fait grincer des dents.
En point de vue de mon sac de couchage, les baleines peuvent danser, chanter, nous, on est là…
A pluche…
Ouf !
2 août 2017Hier soir en faisant ma « vaisselle », je trouvais vraiment le camp très près de la mer, il n’aurait pas fallu de houle d’ouest ! Eh ben oui, elle est arrivée cette nuit qui est toujours et encore jour. Comment veux-tu dormir dans ces conditions ? 4h du mat et on change de coin, via le sud… 5h du mat, ça y est, nous glissons sur une mer houleuse mais avec un vent faible de nord nord-ouest, vraiment comme il faut. Mais voilà qu’il se renforce, levant une mer chaotique, mais au moins ça pousse… Mais le vent augmente, la mer aussi, les premiers moutons nous lèchent la poupe, cela ne me plait pas du tout. Je tente la vitesse en envoyant le cerf-volant qui part au premier coup, waouh 7 km, Timmiaq, c’est son nom qui veut dire oiseau en groenlandais, tient seul mais au delà des 20 nds de vent, il part dans tous les sens pour finir à l’eau. Les déferlantes m’impressionnent, mais le kayak tient bon le cap. Par les pieds, je pilote le safran qui compense sans cesse les travers dus aux rouleaux. Il faut que rien ne casse, mais ça il ne faut pas y penser. Au bout d’une heure, c’est le coup de vent et dire que c’était prévu calme avec une brise de Nord nord-ouest de 3 à 4 nds !!! Timmiaq prend mal le vent, les bourrasques le déstabilisent, pour l’aider, je force comme un malade sur les pagaies pour lui donner moins de prise, mais patatras il s’écroule. Il me faut un exercice de cirque pour le ramener le plus rapidement possible sans qu’il ne passe derrière en se transformant en ancre flottante qui risquerait de me faire chavirer. Je ne sais toujours pas comment il s’est trouvé à bord aussi rapidement.
Maintenant, je n’ai plus que ma pagaie pour maintenir le cap, le travail est dantesque mais l’adrénaline me fait tenir le rythme sans souffrance aucune. Deux heures et le vent est stabilisé vers les 20 nds, avec un voilier c’est un pur plaisir, avec un kayak en mer polaire c’est la roulette russe. Pour tenir la cadence, des images me viennent et aujourd’hui la conversation que j’ai eu hier soir avec Karin me prend aux tripes. Son amie de formation yoga, s’est tuée dans un accident de la route il y a quelques jours, ma «petite» allemande est très affectée. Je ne connaissais pas cette femme, mais je pense fort à elle, à la vie. Nous sommes pendus à un fil de soie, à tout moment il peut céder pour nous amener vers l’autre monde… 3h, le vent est toujours là mais la mer est encore plus hachée, j’allume le GPS il me donne 4km/h, le courant est contraire au vent ! Il me faut sortir de cette route cabossée, le large me semble la seule solution. Et me voilà bouchonnant seul au monde avec une concentration extrême. Au bout de 4h, je franchis le cap pour enfin me retrouver sur une mer d’huile. Mais quelle galère, quelle énergie pour ne pas chavirer. Je ne dirai pas qui, «micca nomi», mais un drôle de spécialiste m’a dit : après le cap tu trouveras des accostages supers simples, plages, roches plates !!! Mais où bordel, où ? Que des roches abruptes et pour ce qui est des plages, une seule avec des galets gros comme des roues de tracteur !!! Alors je continue. Au dernier cap, j’entends sa voix qui me dit : « là tu verras, c’est super, un beau coin pour toi », oh l’enfoiré pour être poli !!! En face, le détroit large de 8km, j’ai compris ce sera encore une très grosse journée. Je me lance sur une mer d’huile avec un vent inexistant alors, pourquoi s’en faire. La motivation est au plus haut niveau, et quand la motivation est là, même les montagnes tu peux les déplacer… Des phoques me font oublier les baleines de ce matin qui ne nous ont même pas calculé, je les rassure : nous non plus ! Puis une légère brise de nord se lève, tout sur le travers. Là je me dis : non pas encore une rouste ! Puis non, cela reste une petite risée qui m’amène de l’autre côté de la rive pour une journée de 40 km. A notre arrivée, une belle baleine moins prétentieuse que les autres, se laisse un peu plus approcher, alors nous dansons ensemble…. L’île qui nous sert de bivouac est celle du premier camp que j’avais fait avec Karin il y a plus de 40 jours déjà, que d’eau sous la quille d’Immaqa depuis. En douceur, nous accostons pour enfin retrouver le calme et nos si bonnes nouilles chinoises.
Pour l’amie disparue de Karin, en mer, ces mots me sont venus : A toi belle inconnue, prends soin de toi et de ceux que tu aimes. Là où tu es, notre quotidien te semble bien drôle, prie pour nous pauvres tricheurs, prie pour notre salut, pour les peurs qui nous habitent. La vie ici en bas n’est qu’un combat d’une guerre que nous créons au quotidien. Si le ciel est ton paradis, je te dis à bientôt, la mort n’est qu’une porte que l’on ouvre derrière l’inconnu, alors n’ayons plus peur, ne tremblons plus de ce que nous ne connaissons pas…
Freeman plus que jamais…
Camp des baleines
28 juillet 2017Encore une fois, toute la nuit, ça a soufflé et le sommeil devient plus compliqué dans une tente sous les rafales. Au petit matin tout est calme, je me dis que c’est le bon moment pour reprendre la mer. Au moment de partir, à quelques encablures plus à l’ouest, entre deux blocs, une silhouette blanche attire mon attention. En deux coups de pagaie, je découvre une partie du squelette d’une baleine, encore à deux pas, un camp est gisant, tente détruite, objets personnels parsemés de ci de là, avec même un poêle à pétrole qui semble en bon état. La découverte me remet les pieds sur terre, ici nous ne sommes que des passants très peu tolérés. Ce matin, le portage a été douloureux, je n’ai pu trouver de bivouac adéquat, alors je me suis contenté d’un plan incliné. Mais mon cher moignon, lui, préfère le plat et cette position pied en bas l’a fait enfler, une bonne partie de «rigolade» pendant deux heures…
La mer est d’huile, je serre les fesses, qu’est ce qui nous attend ? Rien, que du bonheur, une mer plate, douce et sans courant, je crois être dans un rêve. En frôlant d’immenses falaises, des guillemots m’offrent leur chant qui est un doux sifflement, les bernaches se poussent toujours un peu à notre passage et les colosses de glace se font de plus en plus rares. Oui, c’est ça que j’étais venu chercher, du calme teinté de poésie boréale, de la paix inspiratrice de poèmes pour dame Nature, mais hélas, jusqu’à présent, elle ne m’a permis que des combats truqués où le kayakiste perd chaque partie. Heureusement, l’échec et mat a été évité, de justesse, mais évité quand même…
Je poursuis, je chante, la mascotte se bouche les oreilles ! C’est bon la vie ici. Une belle plage nous permet l’arrêt café, barre de céréale puis le cap Tulugaq nous offre sa brise et courant contraire, mais cela fut bref, la mer d’huile était au coin, juste après la pointe. 3 phoques nous épient, un point rouge sur l’eau qui se traîne en chantant, ça va rester dans les annales. Nous sommes venus pour les baleines, mais rien de rien, que du calme, ce n’est pas grave, la vie est belle quand tout est calme. Je longe une côte austère, impossible de trouver un coin bivouac, alors nous traversons, cap sur une petite île. Nüa, c’est son nom, nous permet de poser le camp du jour. Là bas, très au Nord, le détroit de Disko, nous fait entrevoir le coin où tout a failli basculer. Un frisson me prend les tripes, là bas j’ai rebroussé chemin, là bas un tsunami a enlevé des vies, des vents violents ont mis le kayakiste en rouge en zone noire et en regardant ce grand Nord, je ne regrette aucunement mon choix de retour en arrière. Plus de 500 km effectués en 39 jours, 39 jours d’apprentissage, 39 jours pour comprendre les règles des côtes du Groenland. Ma route n’est pas finie, il me faut rester très attentif, très prudent, ne rien laisser passer, mais aujourd’hui, là à l’instant présent, sur une petite île de la côte ouest de la grande île d’Agdlugtoq, un homme libre savoure le silence et le bonheur d’être tout simplement là où il est …
Yes i’m a Freeman, Kuffaanngissuesq…
Groenland 2017 : Expédition Kiffanngisssuesq
19 juillet 2017Tempête
16 juillet 2017Même au lit, la petite voix me cause et ce matin elle m’a dit :
– Allez, allez, bouge tes fesses et déménage
– Mais il est 5h
– Je ne te le redirais plus mais lève le camp !
Effectivement un truc me rend vigilant, depuis deux jours le baromètre est aux alentours des 990 hectopascals, nous sommes comme dans l’œil d’un cyclone gigantesque ! L’iridium reçoit un SMS mais c’est la même chanson, il est illisible, l’écran affiche : incompatible message. Comme d’habitude, je rage sur la dépendance que l’on peut avoir à la nouvelle technologie. Je dois déballer mon PC et le brancher sur mon fameux Iridium pour enfin recevoir, mais par mail, le bulletin de la journée. Pas folichon tout ça, une forte renverse de vent à l’est avec des risques de chutes de neige est prévue, un vrai bel été en somme ! En moins d’une heure, nous voilà en mer, qui est encore houleuse de l’ouest qui a soufflé cette nuit.
Mais myrtille sur la crêpe, le chariot qui me sert à mettre à la mer Immaqa s’est encore dégradé et il m’a fallu faire un bricolage rapide dans la houle qui le submergeait, la mer est à 4° ! Mais c’est la vie de nomade qui veut ça. Tiens le brouillard est au rendez-vous, lui je ne l’attendais pas. Dans 10 petits kilomètres, il devrait y avoir une cabane, mais avec cette purée de pois il ne serait pas impossible qu’on la loupe. Pour une fois le courant est dans le bon sens, ça au moins c’est positif. La visibilité par moment se cantonne aux petits 100 m et l’abri visé est à au moins 300 m en hauteur, ce serait vraiment ballot de le louper.
Finalement au bout de 2h net, une trouée nous fait apparaître la cabane blanche, là haut perchée dans la brume. Immaqa doit être beaché, cette fois sur de gros galets. Je n’aime pas du tout ce style d’arrivée au surf pour mon compagnon de route. Tel le chat, à 3 m du bord, j’extirpe déjà mes deux jambes pour me retrouver comme un cow-boy sur mon embarcation en sautant rapidement pour le réceptionner. Pour un unijambiste, l’exercice est stylé, seuls les spécialistes peuvent apprécier ! Le premier boulot est de mettre à l’abri le kayak. Tant bien que mal entre deux vagues, je le vide au maximum et une fois plus léger, je le hisse sur son chariot en convalescence. Je ne sais par quel miracle, le voilà hors de danger : ouf ! Avant de poursuivre, je dois réparer ce chariot qui ne fait plus son boulot correctement. En une petite demi-heure et pas mal de système D, le voilà presque comme neuf. Mais ce n’est pas fini, mon cher monsieur, il faut voir si la cabane est en état pour nous recevoir.
Une belle grimpette au milieu des camarines et niviarsiaq mène à ce refuge de chasseurs. Des douilles et 4 têtes de rennes me guident jusqu’à sa porte qui n’est pas fermée à clé. Parfait, la cabane parfaite ! Il y a même un poêle à bois et vu ce qu’il y a sur la plage, c’est l’endroit idéal en attendant la tempête. Je m’affaire à tout monter. Même mon moignon est complètement cicatrisé, un vrai bonheur. Le petit poêle à bois n’attendait que mon allumette et un peu de branches de camarines pour sécher et chauffer la pièce. Je sens que du mauvais arrive alors je ne chôme pas. Du bois de ci de là est coupé et stocké, j’ai même trouvé une scie à moitié enfouie dans le sable, mes anges gardiens font un boulot énorme. Un magnifique torrent est à moins de 200 m, alors avec mon jerrican pliable je fais un plein et mets de l’eau à chauffer, ce sera douche et lavage des « fringues ». Sur une étagère composée de deux vieux bidons de peinture et d’une planche trouvée sur la plage, des trésors nous attendaient. Un gros sachet de pain noir, un fond de confiture à la fraise et 2kg de spaghetti sont là pour le pauvre égaré. Jo Zef me le confirme : On est paumé de chez paumé, faut tout bouffer !!! On se calme la mascotte, on n’est pas perdu et il nous reste des rations pour encore une petite semaine. A ces mots précis, la pauvre mascotte se jette sur ma prothèse pour me demander une tartine de pain noir avec de la bonne confiture de fraise. Il se jette au sol, convulse !!! OK la mascotte, juste une alors !
Après les éternelles nouilles chinoises, je peux enfin prendre un peu plus de temps. Le boulot est fait et tout est en règle en cas de gros mauvais temps. Dans ces moments de solitude, il me plait de marcher sur ces plages polaires qui n’en finissent pas. Des traces de bestioles me rendent enquêteur : Un renard, des oies, des rennes, même des morues séchées a moitié fossilisées. Mais, là bas vers l’est, une barre noire m’intrigue. Ici, la brise est à l’ouest qui s’est bien calmé. Soudain, en un claquement de doigt, un vent de nord-est d’une violence extrême balaie tout sur son passage. Mes bouts de bois sous mon bras, je vais au chevet d’Immaqa, il semble bien. Je l’ai remonté hors de marée, calé sur des caisses blanches de pêche perdues en mer et surtout je lui ai créé une ancre nouveau concept. La violence du vent est terrible, mais les rafales viennent de terre, donc le seul souci serait qu’il se soulève pour partir au large. Encore une autre caisse blanche en plastique enfouie à une bonne vingtaine de mètres de lui, il me suffit simplement de la remplir à ras bord de cailloux et d’y fixer solidement son amarre de proue. Si une mauvaise rafale le chope, il restera plaqué au sol…
Au chaud dans la cabane qui vibre en n’en plus finir, je me dis que je suis mieux ici que coincé sous ma tente à lutter toute la nuit. Vu la violence du vent, je ne pourrais dormir mais au moins je serais au chaud et au sec en écoutant la rage du vent du Grand Nord. Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec l’excellent Jean-Charles Marsily à 12h40, je vous raconterai comment s’est passé la nuit…
A pluche
Rencontres
14 juillet 2017Ce matin, le vent a tourné sud-est, c’est-à-dire juste où nous nous rendons. Karin m’envoie le dernier bulletin météo, cela devrait tourner ouest vers midi. Je prends mon mal en patience et organise le départ. Une fois de plus, je grimpe le promontoire pour un panorama somptueux, mais le vent se renforce, il atteint les 20 nds ! Vers 10h, il mollit pour tourner ouest. Comme Speedy Gonzales, je plie la tente et installe tout à bord, il ne faut pas moisir ici. En moins d’une demi-heure, je suis en mer mais de nouveau le vent bascule au sud-est, je n’arrive pas en croire mes yeux. Non seulement il me revient dans dans le nez mais avec la même force que tout à l’heure. Quelle poisse ! Têtu comme un âne Corse, je m’applique à avancer, mais les déferlantes sont lourdes à passer. Je vise la pointe du cap où je devine une plage de sable noir… Au bout de 1h15, j’atteins mon objectif, au pire, je plante la tente là ! Je sécurise Immaqa avec un long bout et traverse la péninsule pour avoir confirmation de ce que je pressens. De l’autre côté, c’est le calme plat. Un café, une barre de céréales et nous traversons enfin la frontière géographique entre la mer de Baffin et le détroit de Disko.
Enfin libéré, je peux me relâcher, l’est n’est plus qu’une simple brise sur 500 m, puis le calme plat revient… Mes rêveries me rattrapent, quand soudain, dans ma direction des battements d’ailes assez bizarres m’interpellent ! Un duo de cormorans n’arrive pas à décoller ? Mais non, c’est une embarcation ! Là, devant moi, un kayak avec deux gars croise ma route. En anglais :
– « Mais tu es seul ?
– Oui
– C’est super dangereux ici.
– Oui je sais !!!
– Tu es d’où ?
– Corsica !!! »
Eux, des allemands, en balade jusqu’au fameux cap pour retourner ensuite. Ils m’expliquent que de l’autre côté, la montagne tombe dans la mer et que c’est très risqué en kayak. Je leur explique que c’est l’une des raisons de mon retour en arrière… On papote un peu et après le selfie obligatoire, Andreas et Mathias reprennent leur route…
La brise d’ouest arrive enfin, si bien que j’arrive à sortir mon cerf volant pour enfin alléger la cadence, mais ma moyenne augmente péniblement, il me faut trouver la bonne veine de courant et cette fois je devine qu’elle est à terre… La journée est calme, le vent tombe juste assez pour que je range mon beau cerf-volant mais avant de le rembobiner, un phoque loin à notre proue semble subjugué par le « truc » orange qui flotte dans le ciel. Tout doucement, nous nous en approchons et chose incroyable au lieu de sonder et disparaître, elle se met sur le dos en faisant la planche pour nous voir passer à moins de 5m. Tellement surpris de sa réaction, je n’ai pu la shooter en photo, quel dommage. Si près d’elle que nous avons vu ses mamelles, c’était une maman phoque…
Au bout de 8h de mer et le moignon tétanisé, je pose prothèse à terre, mais le coin ne plait pas, pas assez haut, alors nous filons plus à l’est pour enfin trouver le coin idéal au bout de 32km…
Ce soir, un peu cuit mais sans courbature majeure, une fondue savoyarde lyophilisée me régale les papilles, un bon bouillon Thai et pour le sucré une compote lyophilisée.
La mascotte a mis les lunettes pour la compta : TUC : fini ; Cookies : fini ; tablette de chocolat :fini ; jambon:fini ; fromage :fini ; pain:fini… Je sens un gros coup de déprime chez le pôvre Jo Zef.
A pluche
Camp Ata!
7 juillet 2017Nous ne sommes pas maîtres de ce qui nous entoure et là encore, j’en prends conscience… Aujourd’hui nous avons progressé de 34km en une journée rêvée, pas un millimètre de vent et un soleil à cramer un unijambiste en kayak. Tout au long du parcours, des coins assez pratiques pour bivouaquer et une paix royale, pas une seule rencontre. Comme d’habitude, un renard arctique est venu en curieux voir le bateau rouge passer. Une escadrille d’oies essayait de nous fuir en marchant d’un pas rapide, mais on allait dans le même sens, jusqu’au moment où elles ont compris que leur salut était de grimper vers la montagne.
L’impression est étrange, le coin ressemble incroyablement au lac Léman mais sans aucune construction. Les montagnes sont abruptes mais sans remonte pente et au désespoir de la mascotte, pas de chocolat Suisse abandonné sur la côte. Soudain, un point blanc apparait ainsi qu’un pic vertigineux, une aiguille de lave figée s’élève vers le ciel. Au pied de ce monument, une cabane blanche. Ce sont les premières deux heures, alors nous stoppons la cadence pour aller déguster notre café à l’abri des mouches et moustiques qui sont venus par « palettes » complètes !!! De ce nid d’aigle je peux surveiller Immaqa qui pourrait avoir la fâcheuse idée de prendre la mer sans nous, ce serait bête ; hein !
Puis nous continuons. Personne, pas un bateau pas un souffle d’air. A un moment le courant semble nous porter un peu… Au bout de 8h de rêveries, je décide de monter le camp. Sur la carte je découvre que le coin se nomme Ata !!! Il y a une semaine dans un autre Ata, Karin retournait en Corse et aujourd’hui pour la première semaine je bivouaque dans un coin au même patronyme. En arrivant, des os de baleine et d’autres bestioles jonchent le sol, les chasseurs sont passés par là. Immaqa est posé sur son chariot et hissé en zone hors d’atteinte de la mer. Je m’occupe de lui, vérifie tous ses petits coins. Nous sommes une équipe. La brise d’est se met en place, une aubaine qui va nous laisser
tranquille avec les mouches et moustiques.
Par habitude, je monte la tente avant d’ouvrir mon tel sat, mais là je sens qu’il faut que je fasse le lien avec mon équipe (Audrey, Karin). De toute urgence je dois appeler Julien. De l’autre côté sur Uummanaq, la situation s’est encore dégradée. Voici le message que j’ai reçu de Pierre qui vit dans cette ville : Au cours des derniers jours cette calotte de méta sédiments a continué de bouger jusqu’ à 30cm/jour. Info rapportée à la presse par le géologue Jonas Petersen du département des minéraux bruts. L’ article dont j’ ai pris cet extrait est plus technique et descriptif de la situation actuelle et des risques. Entre autre que si la vague sur la disante du fjord de Karrat peut se situer entre 5 et 10 m de haut elle n’est pas prévue au delà de 3m du côté d’ Illorsuit et encore moins vers Nuussuaq, Niaqornat et Uummannaq où je l’ ai estimée entre 1.80 et 2,00m lors du premier Tsunami du 17/6. J’ étais sur l’ eau dans ma jolle avec les autres et cela correspondait à un marnage de marée habituel. Annie ma compagne (chef médecin à l’ hôpital) vient de me téléphoner à l’ instant pour me confirmer que le risque de rupture de la montagne et de 11,5 sur 12. Je répète que tant que Franck se trouve de l’ autre côté de Nuussuuaq pas d’affolement mais prudence absolue sur la face Nord et et Nord Ouest de la presque’ île de Nuussuuaq.
Je ne vais pas me presser mais dans 4 à 5 jours je devrais atteindre le cap Nugssûtâ. Là, je prendrais une décision pour ma progression. Myrtille sur la crêpe un bon coup de vent est annoncé, encore un « truc » à gérer !!!
Je remercie, Audrey, Karin, Julien, Pierre qui sont à l’écoute de l’évolution sur Uummannaq. Ils sont mes anges gardiens… Ne vous faites aucun souci, il n’y a pas de bons aventuriers, il n’y a que de vieux aventuriers.
A pluche
Camp de l’iceberg fou et du kayakiste insouciant…
5 juillet 2017Une pluie mêlée de neige a martelé le bivouac toute la nuit, mais ma première préoccupation est la glace ! A peine réveillé, je grimpe une colline pour deviner ce qui m’attend à l’ouest. Encore pas mal de glace mais plus éparpillée, du moins je l’espère. En moins d’une heure tout est démonté et mis en place à bord d’Immaqa. Toujours la boule au ventre nous nous échauffons : les mains bien qu’elles aient pris du volume ainsi que les bras, rien n’est douloureux. Le seul hic, une fois de plus c’est mon moignon. La position assise les pieds dans le palonnier qui dirige le
gouvernail plus les portages à chaque départ et arrivée, lui ont causé un début d’ulcère qui ne me plait guère… A voir !
Les heures qui me mènent vers le village de Saqqaq (prononcé Sarqaq) sont en labyrinthe mais avec beaucoup moins de pièges que les jours précédents. La première plage côté est est couverte de moignons d’icebergs, l’accès est impossible. En plus de cela je n’y vois aucune embarcation. Juste après le promontoire du village, enfin, je trouve le spot parfait, une échancrure sableuse et des dizaines de bateaux au mouillage. A peine beaché, un groupe d’enfant court vers nous. Aluu, Kranoripit ? Alungila … Et là les gamins croient que je parle leur langue et je me retrouve noyé de questions que je ne comprend pas du tout… Ils m’amènent à la supérette et ne me lâchent plus, leur gentillesse me touche beaucoup. Malgré mes principes et sans qu’ils me demandent quoi que ce soit je leur offre des sodas et des paquets de chips… A la sortie ils s’envolent comme une volée de moineau pour le répéter à tout le village. Les anciens viennent tous me remercier, je suis très gêné… Un tout petit m’interpelle et sort tout doucement de sa poche un « truc », il me le tend… Il m’offre une de ses billes. J’ai les yeux qui piquent, il m’a offert ce qu’il avait de plus cher à son cœur, quel cadeau précieux…
Mais je reprends la mer, je veux voir si là bas l’océan est moins encombré. Encore deux trois plaques et puis enfin l’horizon s’offre à nous, ouf. La brise se met au sud est, cela nous pousse en douceur. Là bas, le cap Kûtsîarfik, je ne sais pas ce qu’il peut avoir derrière. J’y espère un bel abri pour Immaqa et les 3m² habitables nécessaires au montage de la tente. Accueilli par des sternes arctiques, je ne peux qu’imaginer leur voyage. L’été austral, elles sont en Antarctique, puis elles prennent leur grand vol pour le Groenland. Souvent en fin d’hiver je les vois faire relâche dans des étangs en Corse. Leur parcours est de l’ordre du miracle. Donc le cap doublé, je crois m’évanouir, une plage de 6km de long s’offre à nous. Un sable argent spécialement mis là pour nous les pauvres nomades du grand nord. En boitant bas, je décharge le matériel. Par fainéantise ou laxisme, je ne fixe que l’amarre de proue sur mon bâton de marche planté dans le sable. La vue est fantastique. Devant nous, à quelques encablures, un Iceberg d’au moins 15 m de haut nous observe. Alors que je rédige mon journal de bord, il se met à se désintégrer, il explose en morceaux. Je ne sais pourquoi mais pour éviter que mon moignon n’enfle, j’ai gardé mon manchon. Je l’observe dans son mouvement de rotation quand soudain je vois une série de vagues arriver sur Immaqa. A la deuxième vague, le ressac l’embarque au large. Ni une ni deux en simple slip, j’emboite ma prothèse et me jette à l’eau jusqu’à la taille pour le choper au vol. Ni mal au moignon ni même froid dans une eau à deux degrés… Décidément encore une leçon de vie…
A pluche
Camp de la nostalgie
1 juillet 2017On le sait c’est la dernière journée ensemble. On essaie de ne pas y penser mais ce n’est pas simple. Il nous reste la journée entière à nous… Vers 10h, alors que nous commencions à démonter «Apoutsiaq » un bruit de moteur nous interpelle, un petit bateau vient droit sur nous ! Je ne reconnais pas Julien et retourne à la tâche quand soudain je comprends que c’est son beau-père… Le départ est précipité, nous sommes sous le choc, tout va très vite, le kayak est bien rangé dans ses deux sacs et Karin finit de boucler son sac. Nous nous serrons les yeux embués, on se promet des tas de «trucs » mais il faut se quitter… Le bateau disparait au milieu des glaçons, ce soir ma belle et tendre Allemande pourra prendre une douche bien chaude à Ilulissat…
A mon tour je m’active, le bivouac est démonté et les sacs contrôlés, Jo Zef rejoint sa place dans le sac étanche, il nous faut partir. Le vent du sud se renforce juste en face de la plage où se tient Immaqa. Grâce au chariot il est mis à l’eau, mais le clapot rend la manœuvre sportive. Finalement nous nous élançons, je jette un dernier coup d’œil à ce petit coin qui nous a abrités pendant quelques jours. Je remercie la vieille âme qui nous a accueillis, juste avant de donner les premiers coups de pagaies, un petit oiseau s’est posé sur un caillou en face de moi en m’offrant un chant incroyable…
Pour 5km je sais que cela va être « chaud », le vent et les vagues sont de travers. Immaqa est très chargé mais c’est un bon marin, la confiance entre nous n’est plus en doute. Ce départ est douloureux, aussi bien dans la tête, que dans les bras mais la vie n’est pas un conte de fée, j’ai choisi ce chemin alors je n’ai qu’à courber l’échine et avancer. Au bout d’une heure je contourne le cap pour enfin avoir le vent dans les fesses, le cerf-volant décolle, la moyenne s’améliore, il nous faut être vigilant entre les glaçons. Derrière plus au sud un gros orage se dirige droit sur nous, mais je pense surtout à Karin, je croise les doigts pour que tout se soit bien passé. Le vent tourne, je dois affaler le cerf volant, trop au milieu du chenal les rafales deviennent violentes, il faut absolument nous mettre sous le vent. Le froid me saisit, alors j’augmente la cadence, le temps passe plus vite en cadence élevée. A notre droite le glacier d’Equi qui est pris aussi par les bourrasques de pluie, la sensation d’être vraiment seul au monde s’accélère. Après 3h30, le cap nord de l’ile d’Ata est enfin franchi. Un bateau vient vers moi. Un homme accompagné d’une femme et de trois petits enfants m’annonce qu’après tout est bloqué par les glaces. Je lui donne le nom de l’ile que j’ai choisi comme objectif, il me confirme que c’est un bon choix et me souhaite : « a very good trip ». Je me
sens moins seul…
Au bout de 4h pétantes, Immaqa trouve une belle plage de sable pour se reposer. L’île est une nurserie à canard, des centaines de canes couvent leurs œufs. Je prend mon temps pour définir le bivouac mais c’est vite vu, là en face de nous le coin parfait. Montage sous une pluie fine, de tout le bivouac, Jo Zef est extirpé du sac étanche, il n’en croit pas ses yeux il manque Karin…
Pour me dénouer les jambes, je pars au sommet de l’île pour voir ce qui m’attend demain. Les bras m’en tombent, le fjord est complètement bloqué de
glace… Pour que les choses soient complètes, la neige tombe à gros flocon…
Bonne nuit les amis, ici c’est vraiment le Grand nord.