Seuls au monde

13 août 2019

Si cette nuit fut salutaire nous la devons à cette petite crique bien protégée de ces mastodontes de glaces qui nous entourent.La sensation de solitude est immense,nous avons l’impression que le monde des «autres» a disparu.Le silence est indescriptible,les jeunes,accrocs de musique ont lâché leurs écouteurs pour s’imprégner de ce moment fantastique.Nous débarquons à terre pour chercher un promontoire,le passage sera compliqué,de là haut nous pouvons nous en faire une idée.J’ai embarqué une caméra,peut-être qu’un court métrage verra le jour, immaqa !Je filme le silence, la magie du Grand Nord est abstraite comment trouver le bon angle pour pouvoir le partager.Les jeunes le savent et l’ont compris, ce qu’ils vivent là ne sera jamais racontable, photos,films,texte, soirée au coin du feu, rien ne pourra donner ce qu’ils vivent au bout du monde.Sur notre colline minérale la langue de la calotte polaire apparait, à vol d’oiseau elle doit être à moins de 3000 mètres.Entre notre mouillage et elle de la glace à perte de vue, le passage semble compromis.Nous formons un cairn,chacun y mettra sa pierre, son histoire, ses blessures.Nous sommes si petits, si fragiles ici mais tellement unis.
Nous levons l’ancre pour tenter le passage.La Louise de ses 40 tonnes pousse la glace qui explose sous son poids,mais nous comprenons que la tache sera mission impossible.Je monte dans le nid de pie situé à 7 mètres du niveau du pont.Nous devons faire demi-tour,le bouchon de glace est infranchissable.A 2 nœuds,nous revenons sur nos pas,les plaques d’icebergs sont denses,le bruit dans les entrailles de la Louise est surréaliste,elle vibre de tous ses sens.Nous tentons le passage par la partie ouest de l’île moins exposée au flux de la glace.Le but serait de rejoindre la base de la calotte polaire.Malgré le froid,tout le monde est sur le pont,pas de blablas inutiles,pas de rire en trop,la petite bande bout de vie est subjugué par cette navigation chaotique.Mes pensées s’envolent à ma dernière expédition kayak en solo sur cette même côte dans les mêmes conditions.La souffrance et le froid étaient mes compagnes de baroude.Le soir quand je me refugiais sous ma tente dans mon sac de couchage,je rêvais de partager ces moments avec des personnes de mon association.Le rêve est en train de se réaliser.
On parle souvent de chercheurs en évoquant les régions sauvages polaires,
aujourd’hui à bord de la Louise ce ne sont pas des chercheurs mais plutôt des trouveurs qui s’ouvrent à une vie différente.Découvreurs de nouvelles limites,découvreurs d’un océan de possibilités.En rentrant chez eux ils enverront bouler ceux qui leur diront qu’ils sont courageux,que c’est formidable ce qu’ils font.En rentrant chez eux,ils auront dans leur sac de voyage des clés pour aller encore plus loin,encore plus haut,encore plus fort.De grâce,réveillez vous,ils vont revenir plus fort pour vous botter les fesses,ils ont compris qu’on en avait qu’une seule de vie…
Takuss

Dans les glaces

12 août 2019

Ce matin nous étions au mouillage face au petit village de Qeqertaq,le groupe
électrogène en panne rendait le hameau d’une centaine d’habitants silencieux.Un gamin est venu à notre rencontre avec une musique de Rap qui sortait de son smartphone.Un jeune de moins de 10 ans un peu particulier, provocateur à souhait,chose absolument inédite pour le Groenland.Pas du tout impressionné par ceux qui avaient leur prothèse à vue,il nous regardait droit dans les yeux,sans jamais les baisser.Bastien est allé danser avec lui.Paradoxe de ce pays complexe et pourtant si attachant.Le cliché du chasseur avec sa lance et son kayak est bien révolu mais toujours à porté de pagaie.De retour à bord nous levons l’ancre pour commencer à nous approcher de la calotte polaire.De plus en plus la glace est dense,mais la Louise est conçue pour affronter ce style de situation.Tout le monde est en mode d’observateur.Peu de gens ont la chance de louvoyer sous ces latitudes.Les chocs par moments sont forts et secoue notre goélette dans tous les sens.La température chute pour s’approcher des 5°,l’ambiance devient vraiment polaire.Au bout de 5 heures de navigation,la glace s’agglutine rendant la navigation plus engagée. Il nous faut trouver le bon passage.Soudain un bout d’iceberg plat donne l’idée à Thierry de s’en approcher pour déposer Bastien.L’opération est délicate mais possible.En toute sécurité notre aventurier est sur cette plaque de glace, encore un beau moment d’émotion…
Au moment où je vous écris ces mots nous naviguons encore,le mouillage prévu est encore loin et la glace de plus en plus dense…Tout l’équipage Bout de vie vous embrasse.Demain j’essaierai d’être plus explicite.
Takuss