Quelle belle soirée, Ana et Christoffer m’ont invité pour un diner que je ne pourrai oublier mais ce matin je reprends ma route. Un dernier coup d’oeil à leur maison et je file plein Sud. Arriver sans savoir si l’on reste, partir en sachant que l’on reviendra, la devise du nomade… Le vent est faible et je file sur une eau à peine ridée, je vais tenter de rejoindre le « grand » Stockholm. Je suis bien surpris du côté sauvage à quelques milles de la capitale. Je n’arrive pas à m’imaginer que derrière ces forêts se cache une mégapole. Je ne sais pas ou je planterai ma tente ce soir mais hier Christoffer m’a rassuré, ce n’est pas Paris et il me sera facile pour trouver un coin tranquille. Je dois traverser l’immense chenal où, ferry, porte container et taxi boat se croisent. Je me mets en poste d’étanchéité maximum. Le vent est toujours faible, heureusement d’ailleurs, le passage deviendrait vite dangereux avec de la brise. Javance sans penser à tout à l’heure, j’essaie de me
remplir de toutes ces images qui défilent devant moi, je ne veux rien louper. Le passage du Saxar Fjärden est franchi, je dois trouver un petit chenal. Le vent se lève, le ciel s’obscurcit, ça sent l’orage. Je fais une halte déjeuné, déjà 7h de je pagaie : C’est que ça creuse l’exercice ! Un homme m’interpelle, vu mon accoutrement et comment est équipé Immaqa cela l’intrigue. Il me félicite et avec un charmant accent suédois me dit en français : bonne chance. Je reprends ma route, devant moi lîle de Vaxholm qui était l’un des premiers remparts de Stockholm, je crois que c’est là où je vais me poser. On m’a parlé d’un camping, mais entre vous et moi je ne vois pas monter ma tente au milieu d’aoutiens. Je passe par le port charmant de l’île, quelques touristes me prennent en photo, des dames parlent entre-elles, des françaises. On discute un moment et je poursuis, le coin dégage une bonne onde, je m’y sens bien. Je me fais doubler par un couple d’allemand en kayak, on partage un bout de nos vies, ils filent vers leur destin moi vers le mien. Je trouve le camping, je tente une approche. En plein mois d’aout je m’attends au pire, rien de tout cela, du calme, de la paix. Je me renseigne sur les commodités, je dois impérativement laver mon duvet, deux mois que j’y dors, il commence à sentir le renard mort. Jo Zef et Norra confirment. Je fais un tour du site, je ne suis pas encore prêt à ce cantonnement. Depuis Lulea, je bivouac dans des endroits sauvages, l’équipe logistique arrivera sur zone mardi matin au plus tard, j’ai encore le temps avant de me faire numéroter, parquer, enregistrer. Je reprends la mer, là-bas à un kilomètre je perçois comme une immense prairie sans maison au alentour, des chevaux, des champs et personne à l’horizon. Je mapproche en espérant y trouver mon refuge, je me faufile au milieu des joncs et découvre une pelouse naturelle qui donne envie de s’y rouler. Je me dis que ce nest pas possible, il doit y avoir une maison de luxe dans les parages. Je pars en repérage. En haut d’une colline je vois au loin une ferme, je suis sur des terres agricoles, je suis sauvé, personne ne viendra membêter. Je cherche le bon coin pour monter ma tente, en bordure d’arbre ce serait idéal pour rajouter ma bâche qui en plus de la tente me protégerait de la pluie qui dans un moment va mettre la douche en marche. Un bateau ce dirige sur moi ! Aie, je suis cuit !!! Non, c’est un pécheur, je lui demande si c’est possible
de bivouaquer. Il me répond que oui, je suis l’homme le plus heureux. Nous discutons pêche, c’est son métier et avec beaucoup de gentillesse il me donne quelques astuces pour essayer enfin de prendre un poisson. Sous un noisetier la tente est montée, juste derrière un chêne, qui doit au moins avoir trois cent ans, semble me sourire. Je m’approche doucement et me plaque à lui les bras écartés, il commence à pleuvoir, je capte son énergie. Je viens de parcourir 1100km en kayak dans des conditions des fois difficiles et aujourd’hui comme cadeau de la vie je suis dans un Eden de paix et de verdure. Sous mon abri de toile je vais enfin me reposer, j’ai du sommeil à rattraper, j’ai des peurs à digérer, j’ai des larmes à essuyer, j’ai des rires à partager. I’m a free man.
A pluche !
Aux portes de Stockholm…
9 août 2012Le canal de Vaeddoe.
5 août 2012C’est un coup à s’en mordre le moignon, l’accueil de mes hôtes super, le terrain pour poser ma tente parfait mais j’avais omis un détail. Ne jamais bivouaquer dans une baie où il y a des restaurants. Bom bom bom,toute la nuit !!! Salut les hommes, on reprend le large, je devrais dire le goulet. Le vent s’est mis au Sud-ouest, encore dans le pif. Jo Zef qui feuillette le quotidien « Cabochard Matin », m’apprend un événement majeur qui marque l’actualité internationale. En république d‘Immaqa le gouvernement de la brise du Nord, depuis une semaine, est assiégée par le vent du Sud qui encore aujourd’hui a posté ses sentinelles, la situation est proche du coup d’état !!! Le canal de Väddö est long de 20km et droit comme la justice, nous nous lançons à sa conquête. L’important dans ce style d’exercice et de ne surtout pas penser à sa longueur et surtout avoir la technique pour s’évader mentalement. Je pense que je commence à y arriver ! Les maisons ne sont plus des cabanes mais de grandes demeures. Je détaille chacune delle et essaie d’inventer les personnages qui y vivent. Celle là a des escaliers hollywoodiens jusqu’à la rive, je vois très bien le style du proprio. Une autre plus petite, plus cachée, avec deux kayaks hissés sur la berge, tiens elle me parait plus sympa celle là. Trois heures que je « goulotte » quand la carte me désigne des écueils à éviter à 500mts devant moi. Je devine les roches et suis surpris d’y voir un drapeau suédois planté, mais quelque chose ne colle pas, ou j’ai des problèmes de vue ou le mat de bannière est minuscule. Plus je m’approche plus je suis intrigué. Une cabane apparait avec ses toilettes extérieures et même une barque. La taille de la cabane est à la hauteur des mascottes. Jo Zef comprend, il prend Norra par la patte et l’extirpe du sac étanche. Ils veulent descendre, visiter. Ok les jeunes, je jette l’ancre! Mes amis sont tout chose devant une maison enfin à leur taille. Mais serait-elle à vendre ? Jo Zef insiste pour que je me retourne : Eh les enfants on ne vas pas y passer la noël sur votre île. Ok, je me tourne. J’entends un immense smak et un énorme soupir. Je fais un volte face pour découvrir Norra toute rouge On reprend la mer, cette histoire m’a redonné la patate. Je ne sais pas comment cette idée m’a été donnée mais j’imaginais le canal absolument hostile en accostage, mais à ma grande surprise, plus nous descendons plus la rive s’apaise, pour laisser place à des prairies et voir quelques plages. A la ville de Väddö il y a un ponton avec une dizaine de voiliers amarrés, je m’informe sur les services de la commune, il y aurait un magasin de bricolage. Ni une ni deux me voilà sauvé, je trouve enfin du gaz. Cela devenait critique, plus de bois pour le feu du soir et le gaz qui commençait à manquer terriblement. C’est vrai que les nouilles chinoises à l’eau froide, c’est un peu croustillant ! Un petit jus de fruit frais pour la route ! Le canal me fait penser à celui du Midi que j’ai remonté avec le Cabochard de la Méditerranée à Toulouse il y a une quinzaine d’années.
Calme, frais et surtout un vent de Sud-ouest qui est devenu bourrasque mais qui n’arrive plus à toucher l’eau. Un bruit monstrueux arrive sur nous, des dizaines de bateaux de courses passent en sens inverse. L’odeur qu’ils dégagent brise la volupté du décor, heureusement qu’ils respectent les 3nds limités. Derrière le cortège une vingtaine de scooter des mers aussi en course, le public a du être tenu informé, la berge est noire de monde. Un trio de « canards ». Ouais Jo Zef c’est plus poli canard, c’est juste une histoire d’ô ! Donc trois mectons qui veulent faire les mariolles avec leur machines veulent me frôler pour me tremper et faire des vagues. Laisse venir petit, si tu t’approche tu vas t’en rappeler quelques jours. Je fais celui qui ne dira rien, qui est apeuré mais juste quand l’un d’eux est à porté de pelle je luis assène une manchette dans les côtes avec ma pagaie qu’il en tombe de sa bécane.
Le scooter se met à tourner en rond et je le couvre de juron ; le public applaudit, je suis prêt à aller au deuxième round, il remontera sur son gadget et repartira avec un gros bleu corsé en souvenir. Ouf, comme ça fait du bien ! Le cortège de « canards » enfin finit de passer et je retrouve mes rêveries. En sortie de canal je déniche une petite prairie avec quelques moutons qui font un brunch, ce sera notre camp du soir.
Encore 26km de parcouru
A pluche !
Jour de repos et rencontre…
30 juillet 2012L’été suédois continue de sévir, pluie discontinue toute la nuit, il parait que c’est le pire depuis quelques décennies ! Je suis en avance sur mon programme de navigation, je décide de rester là aujourd’hui. Je sens que mon corps et surtout mon esprit ont besoin de calme, de reprendre un peu d’énergie. Hier soir j’ai appris que le village était à 5km et qu’il y a avait une épicerie. Tranquillement muni de mon sac à dos je pars en balade. Des fraises des bois grosses comme des cerises que personne ne ramasse, certainement la peur d’attraper la maladie transmise par les renards. A l’Ouest une barre bleue d’azur, certainement le retour du soleil. Au détour d’un virage une biche traverse, sans se soucier de moi, la route.. belle rencontre matinale. La route semble mener à nulle part, à la première maison habitée je m’informerais. Pour l’instant tout semble vide, puis une cabane blanche a la porte ouverte. Un homme en peignoir me sourit, je lui demande si je suis sur la bonne route pour le village et à quelle distance exacte est-il ? Encore 5 bornes mais il n’ouvre qu’à 9h, je dois y aller moi aussi me dit-il. Je le remercie mais je préfère un peu marcher dans ce cadre magnifique, la pluie fait ressortir toutes les fragrances de la forêt, je m’enivre de bon matin ! Un taxi me double et ralentit, il me demande ma destination, mais je ne veux pas de ses services. Il insiste, sa cliente derrière ne dira rien, elle a un lourd déficient mental, il l’amène dans un centre spécialisé. Entre vous et moi je crois surtout qu’il a surtout envie d’avoir une compagnie, sa cliente est très agitée et je le sens un peu perdu !!! Finalement il me déposera sans me demander quoi que ce soit devant la superette, ma casquette avait l’air de plaire à la jeune fille qui n’arrêtait pas de vouloir me la chiper.
Je fais mes courses en essayant de ne rien oublier, ma liste en main je salive déjà du festin de tout à l’heure. A la caisse je reconnais l’homme en peignoir, qui ne l’est plus d’ailleurs. Il discute avec moi et me propose de me ramener jusqu’à mon camp. Lars travaille au parlement à Stockholm et semble passionné par ma « croisade ». Il me demande si j’ai contacté les médias suédois ? Je ris en lui répondant, vous savez en ce moment je ne pense qu’à une seule chose, avancer en restant entier, façon de parler ! Il me propose de le faire pour moi. Je lui laisse mes coordonnées sans trop y croire. Alors que je me prépare un petit déjeuné pantagruélique, mon téléphone sonne, une journaliste veut me rencontrer. Ce matin je ne savais pas si je reprenais la mer et me voilà avec un agent en communication qui veut faire la promo de Bout de vie ! Jana, est attentive et demain dans le journal régional, Arcticorsica sera décrit en suédois. Mais Lars ne veut pas en rester là, il est convaincu qu’il faut que ce soit du national, il s’engage à le faire pour moi, pour vous, pour nous.
Tak Lars !
PS : Jo Zef reprend du poil de la bête, le lyophilisé ça nourrit pas la mascotte et puis il a une grosse excuse avec Norra…
A pluche !
Un jour gravé à tout jamais !!!
26 juillet 2012Il y a des jours qui restent gravés à vie ! Qui ne se souvient pas de la date d’un grave accident, d’une rencontre qui bouleverse notre vie à tout jamais. Ce 26 juillet 2012 sera gravé à vie dans mon âme.
En plein milieu de la nuit un orage s’abat sur nous un déluge d’eau et surtout une subite rotation du vent au Nord, je n’arrive plus à retrouver le sommeil. 5h30 je sors de mon refuge, sans attendre j’envoie mon cerf-volant. Pour l’instant je suis protégé par la multitude d’îles, mais après ! Une petite demi-heure et je commence à comprendre que je vais une fois de plus prendre une sévère leçon d’humilité. Le vent n’est pas si violent 30 à 40 km dans le bon sens, mais la houle enfle de plus en plus. Je reçois le bulletin météo, cela devrais se calmer en fin d’après midi. Je poursuis, je n’arrive plus à avaler ma salive, je suis tendu mais je ne le dois pas. Je dois rester concentré ! La houle déferle, les rouleaux me doublent comme des TGV, il ne faut absolument pas que je me mette en travers. Le kayak est très lourd ce n’est pas un jouet de plage, je pagaie avec les oreilles toutes tendues. Je sais qu’à 15 km devant moi je passerai à l’abri d’un nouvel archipel, mais il faut y arriver. Cela fait deux heures que ça remue et depuis quelques instants la houle a encore pris du volume et commence à déferler de manière inquiétante. Soudain j’entends un bruit sourd monstrueux, je sens la catastrophe arriver, trois vagues successives de trois mètres me prennent par la poupe. A la première je monte d’un étage, elle déferle je ne dois pas tomber dans son lit. Le cerf-volant prend une rafale, il fait un piqué vers la mer, s’il tombe à l’eau je suis foutu, ces suspentes vont s’enchevêtrer dans mon safran et je ne pourrai plus le diriger. Un miracle il frôle la crête d’une lame et repart vers le ciel tout aussi vite. La deuxième me projette comme un vulgaire chiffon, la troisième me submerge, mais Immaqa tient le cap. Je me retrouve dans une mousse d’écume, je suis encore de ce monde. Je poursuis de toute façon je n’ai plus le choix. Devant moi une barre blanche, c’est la passe que je dois franchir, mais par quelle « porte » passer ? Le cerf-volant me maintien bien mais je dois trouver l’issue de ce cauchemar ! J’écarquille tout grand mes yeux, je sais que je peux passer, j’ai étudié la carte hier soir. Il n’y a plus que cinq mètres d’eau en profondeur, je suis sur un manège grandeur nature, je décèle un trou, une passe de 10 mètres de large pas plus, je m’envole, je n’ai jamais été aussi vite de ma vie, 12km heure !!! Finalement je retrouve une mer calme et un vent portant. Je poursuis ma route, double quelques îles et le vent qui devait tomber ce soir faibli d’un coup, je continue sud, je ne veux pas laisser l’opportunité de louper une telle aubaine. 13H45 je rentre dans un chenal qui me fera couper un immense cap qui doit être bien secoué en ce moment. Le boyau se resserre, je sens un truc bizarre, comme si il allait se passer encore quelques choses ! Je passe une cabane qui m’annonce qu’il n’y a plus de passage !!! Non je ne peux y croire, têtu comme une bourrique j’avance, Immaqa devient un chasse neige à roseau. Je me retrouve coincé, empêtré. Mais ce n’est pas possible ça n’en finira jamais alors ! Je tente de m’approcher du bord, je sors du
kayak, de l’eau jusqu’à la taille. Ce n’est pas grave, ce n’est pas le moment de se plaindre. Je trouve un talus avec une route en terre. Je vide l’eau des bottes et de la prothèse et cherche la solution. La seule, un portage. Je retourne démonter mon barda une fois un peu allégé, je le tire jusqu’à la rive, je fais des allers et retours avec tout mon matériel, le terrain est escarpé, je tombe sans gravité. Je me gueule dessus : « Reste concentré Frank ! Concentré ! » Une fois tout monté j’entends une voiture arriver, un vieil homme ne parlant pas anglais me vois trempé au bord de son chemin. Il me baragouine des trucs que je ne cherche pas à déchiffrer et s’en va. Je continue de toute façon je n’ai pas le choix. Une fois tout monté, je cherche comment faire pour passer Immaqa sans le blesser, même à vide il pèse 48 kilos pour 5,40mts de long. Un jeune homme arrive à pied, il parle anglais c’est son père qui l’a appelé. Il sourit avec le flegme et la sérénité suédoise. Il me demande de rebrousser chemin avec mon kayak vide, cela devrait passer facilement puis me récupérera. Je me retrouve devant sa ferme, sur une pente douce d’herbe. Immaqa est hissé à terre. Une grosse remorque agricole va le transporter. Nous passons récupérer mon matos sur le bord de la route pour faire les 1300mts de morceau de canal que la vase et les roseaux ont envahi. J’arrive sur le terrain d’une autre ferme, le propriétaire m’accuelle le sourire aux lèvres. Je décharge tout ; le voisinage est au courant et me rend visite, la presse locale aussi, j’en ai le tournis. Je remets tout en place quand l’homme me demande où je pense passer ma prochaine nuit ? Je ne sais, et lui désigne l’îlot en face : un tas de cailloux. Il me dit que je pourrais dresser ma tente dans son jardin, puis malgré un faible anglais, il me pose des questions, puis me propose une cabane qui lui sert de débarras.
J’accepte à leur manière, sans joie exagérée, puis revient en me demandant si je veux bien diner avec lui et sa femme. Ils ne roulent pas sur l’or ce sera des patates, des œufs durs, un peu de harengs et des tartines beurrées. Toujours tranquillement, il m’indique que si je veux je peux prendre une douche chaude.
Ce soir je suis assis devant ce canal paisible, Immaqa est déjà chargé, demain je reprends le large.
I m a free man !
Jo Zef en comptabilité on en est où ? 48km plus 1300 en tracteur !!!
A pluche !
Le mental, toujours le mental…
21 juillet 2012Il est 19h30, toutes mes taches sont faîtes. Je suis épuisé mais heureux d’être là, heureux d’avoir su une fois de plus surmonter la montagne qui se dressait devant moi. Je n’ai plus rien à faire je suis allongé avec la brise qui me caresse et le soleil qui me réchauffe. La mer de Botnie commence à me connaître, on discute, on se confie, elle est redoutable mais si courtoise. Je peux enfin me laisser aller, me relâcher, je commence à m’assoupir je me remémore cette longue, longue journée.
Bien abrité par la forêt, le bruit sourd du vent rasant les cimes des arbres m’a bercé. Ce matin c’est le retour au boulot, mais le vent de Nord-ouest est encore violent par rafale soudaine. Je vais faire l’indien et pagayer en rase cailloux. Effectivement là-bas au large vers la Finlande ça moutonne, plus je descends plus une longue houle de nord me pousse, mais bien sur il y les baies à traverser. Pas des golfes énormes mais des échancrures assez profondes pour lever une mer sportive ! Je n’avance pas comme je voudrais, je suis en bas de la vague si j’osai cette expression, la cote est longue à n’en plus finir et son côté monotone me mine l’esprit. Je n’arrive pas à décrocher, je reste figé sur cette ligne droite. Je travaille le mental, m’invente des belles histoires mais rien à y faire je suis en bas ! 5h de route pour enfin trouver un changement, je passe un cap et bifurque vers une petite île, je me cache au milieu des cailloux sans pouvoir descendre du kayak et me fais un café. La stabilité du Nautiraid me permet de me retourner et de me mettre à genou dans son trou d’homme. Je m’étire, je mange quelques canistrellis et essaie de faire de la respiration. Je reprends la mer mais je suis lourdingue, j’ai l’impression que je n’avance pas. Encore un golfe un peu plus important, allez c’est pour la deuxième couche, vent de travers, vagues qui déferlent etc etc ! Enfin un chapelet d’îles me barre la route, je vais y faire ma pause déjeuné. Et si je m’arrêtais là ? Je mange tranquillement, une fois de plus le lieu est somptueux mais aucun replat pour mes 4m2 de tente, rien à y faire ! Je reprends mon chemin, magnifique, extraordinaire, le coin est une fois de plus une carte postale. Puis le cap Hornlandet apparait. C’est là que je dois passer demain, la force me revient, l’énergie aussi. Je me laisse glisser entre deux cailloux et réalise qu’entre ce cap et nous il y a un arrêt possible. Le vent sur ce coup là est dans la bonne direction, alors je tente. 7 km et c’est sur je m’arrête. Le vent est un peu plus régulier et se cale autour des 10, 15 nœuds, je tente mon joker, le cerf-volant ! Il part au premier coup et surtout il est orienté juste au bon cap. J’avance comme un matelas de plage qui s’est envolé d’une anse ventilée ! Je navigue à 7km/h, la mer n’est pas trop formée, une petite heure pour rejoindre cet abri. Je beach Immaqa y trouve un coin presque convenable et retrouve enfin la paix et la sérénité. Une journée qui me permet d’énormément progresser mentalement. L’effort est le même mais c’est l’environnement, les données psychiques qui changent, alors c’est à moi à dépasser ce cap et à trouver du réconfort pour pouvoir établir une belle journée de kayak. 42 km de réaliser !!!
A pluche !
La haute côte…
14 juillet 2012Depuis trois jours le baro chute de façon inquiétante, en Méditerranée cela annoncerait un sale coup de vent, ici c’est différent mais quand même. En effet ce matin le large avait déjà la couleur blanche version Sud, alors la sagesse me faisait rester où je suis. En analysant la situation tous les trois jours de mer, un coup de zef m’empêche de partir, une manière délicate de la mer de Botnie de me préserver en forme pour les mois qui viennent. Le rendez-vous est fixé à la mi-août pour reprendre mon vélo et sur mon timing je suis déjà à mi parcours à vol d’oiseau de ma « kayakerie botniene » ! Si j’ai du temps je filerai sur Stockholm sinon je m’arrêterai où je serai. Entre vous et moi j’ai déjà fait 410 bornes en 16 jours il me reste 30 jours pour en faire 580, mais restons au présent. La petite anse qui m’abrite, que vous pouvez voir sur l’onglet « mon parcours en direct » a sa cabane rouge.
Par éducation je suis allé demander l’autorisation d’y planter mon camp et à ma grande surprise Erna m’a répondu en français !!! Je peux vous dire que je fus surpris et ravi. Aves son mari musicien il réside là tout l’été dans la paix et la tranquillité. Pas d’eau courante ni électricité leur journées sont simples et sans stress. Nous avons beaucoup discuté et surtout j’ai beaucoup appris sur la « haute côte » qui commence ici. Sur 100km vers le sud la géographie prend du relief, le granit s’élève et des grands massifs apparaissent. Ce site spectaculaire est protégé par l’UNESCO elle est l’un des joyaux de la Suède. Les îles appartiennent à l’église et personne ne peut y construire. Les seuls cottages présents sont des anciennes cabanes de pêcheurs. Erna m’a raconté avec beaucoup de nostalgie son enfance ici, avec son père morutier. Ses différents métiers l’ont amené à vivre aux USA, en France et à Stockholm mais à la rencontre de son mari musicien ils ont choisi de tout quitter pour une vie plus saine et proche de leur manière d’être. Après une matinée consacrée au séchage et lavage de mon attirail, je suis allé en escalade pour contempler l’archipel balayé par un fort suroît. Là haut tous les arbres sont abattus, les tempêtes d’hiver doivent être terribles. Une vue à couper le souffle. Demain c’est dans ce labyrinthe que je vais louvoyer avec Immaqa. Ce soir je suis l’hôte de mes nouveaux amis.
Non Jo Zef j’insiste, tu dois rester au camp pour le garder. Non je n’amènerai pas des boites en plastiques pour remplir la cambuse et je ne reprendrai pas 5 fois du dessert !!!
A pluche !
Un coup de vent, une rencontre…
6 juillet 2012Quel beau réveil, en sortant le bout du nez de mon duvet j’ai réalisé que nous étions gardés par un cortège d’oies. Caméra au poing et appareil photo j’ai réussi à immortaliser l’instant. Aujourd’hui c’est vacances, de toute façon c’est du sud juste où on doit aller, il y a un peu de boulot de réparation et surtout du sommeil à rattraper. Mais vous me connaissez flâner, n’est pas mon truc. Ma carte m’indique qu’à moins de 7km se trouve un village, peut-être même une épicerie. Ok la mascotte, tu gardes le camp, je pars seul comme d’hab, c’est qui va galérer encore cette fois ? D’abord il faut que je trouve une route, je détaille ma carte et estime qu’une traversée de 1500mts à travers forêt et marécage devrait m’y conduire. Banco, je là trouve. Facile il n’y a qu’à suivre jusqu’au bled. Dans ma petite tête de cabochard je me dis que si la chance se maintient, je devrais trouver une âme charitable qui avec sa «chariote » nous conduirait jusqu’à la caverne d’Ali Baba. Une vieille saab, s’annonce, je fais du « pouce », il s’arrête. Hej, You speak english ? Né (non) ! Eh ben, on va rigoler. Le monsieur à l’aide de signe me fait comprendre que sa voiture à un problème et que le mécano, l’attend, à coté se trouve la superette. Je sors les quatre mots que j’étudie le soir et il sourit de ma détermination à vouloir faire la conversation en suédois. Il s’appelle Carl-Henrik ancien patron pêcheur
il frise les 80 printemps. Il met en main sa vieille voiture chez le garagiste et je lui un offre un café avec une viennoiserie. « Bienfait la mascotte, la prochaine fois tu viendras et tac. Zut, tac, ici ça veut dire merci !!! » Un copain le rejoint, il veut savoir mon bout de vie, je lui parle de mon périple, il dévore mes gestes et mots. Fantastik, fantastik, il n’arrête pas de dire. Sa voiture est enfin prête, nous partons faire les courses, il devient mon agent et raconte ma balade à tout le village. Galette, fromage, fruits frais, salade, yaourts aux myrtilles. Le basic pour survivre !!! Nous reprenons la route, il veut absolument me présenter à sa femme qui est malade. Une cabane rouge au bord de l’eau et le calme absolu. J’attends un moment devant leur nid et savoure ces moments de privilèges. Son épouse vient à ma rencontre, elle n’a pas l’air de vouloir se plaindre et pour faciliter la tâche parle anglais. Elle me raconte leur vie, les enfants, les petits-enfants et la plénitude du lieu, mon bermuda lui dévoile ma différence. La langue, la culture, le pays nous séparent mais les malheurs nous unissent. Carl, veut voir mon kayak, mon camp, je salue la femme de mon hôte et rejoignons les bords de la forêt qu’il faut traverser. Je lui désigne une sente d’élans, il me demande si je suis chasseur ? Que de rêves et encore sans arme ! Finalement, nous rejoignons Immaqa, il a amené son appareil photo, il touche le kayak. Me prend par les épaules, je sens monter en lui une forte émotion. Ses yeux rougissent, les miens aussi ! Mais on ne se connait que de 3heures !!! Pudeur scandinave ; il me serre fort dans ses bras et s’en va sans se retourner, ses yeux cherchant dans le sol toutes les questions de deux âmes semblables qui se croisent. Ce soir au coin du feu, le suroît perd sa vigueur, je vais repartir à la recherche de mon voyage de l’intérieur, cet hiver nous serons loin et pourtant de temps à autres nous nous retrouverons par la pensée. Hej da, Carl, hej da tak so mukie (Merci Carl, merci beaucoup)
A pluche !
Famille du bout du monde…
2 juillet 2012Vent de sud fort, trop fort pour moi, je me résigne. Malgré une nuit pluvieuse ce matin semble dégagé, peut-être une occasion de faire sécher quelques affaires. Je pars à pied en repérage voir si la côte au vent est praticable, je suis rassuré cela aurait été difficile, voir un poil
dangereux. Vu que la route est longue et qu’il n’y a pas âme qui vive, je suis heureux de ma décision. Ici je ne dois que compter sur moi et l’instinct. Ce qui me plait dans ces aventures c’est que le côté animal doit ressurgir coûte que coûte. Mettre tous ses sens en éveil pour s’en sortir toujours à temps. Hier après-midi ma petite voix me disait : « T’es bien caché là, autant tu resteras bloqué demain. » Le vent m’envoie des rafales violentes et je dois fixer plus sérieusement ma tente, derrière dans la forêt une ruine de cabane, j’y déniche des grosses briques rouges qui devaient composer le foyer. Je me transforme en maçon et cale la toile à pourrir de ma guitoune, les à-coups d’Eole ne pourront plus s’y engouffrer. Je lave mes affaires, avec ce zef cela mettra quelques minutes à sécher, puis je déplie le panneau solaire pour charger quelques accus. Le soleil est très puissant sur cette latitude et même à travers les nuages les cellules voltaïques chargent. La routine du nomade en route. Je n’ai plus beaucoup d’eau potable et j’ai repéré au loin une cabane, j’irais voir après le déjeuner s’il y a quelqu’un qui daignerait remplir mes outres. Vers 16h je traverse un long marécage pour arriver au « cottage ». Une dame âgée semble surprise par ma présence, elle parle mal anglais, ça tombe bien moi aussi ! On échange quelques banalités et me demande de la suivre au puits. Une eau
cristalline et fraîche remplit mes récipients. Elle me demande d’où je viens, de quel pays suis-je. Elle m’offre un café et me demande d’attendre quelques minutes ses enfants et petits-enfants vont bientôt lui rendre visite. Veuve depuis 8 ans elle vit seule ici tout l’été, pas
d’eau courante ni électricité mais un silence apaisant. Les gamins débarquent et me saluent à la suédoise, (sans demander quoi que ce soit). Puis la glace fond, on échange, on me parle d’ours, de loup, j’écoute, je note, j’apprécie. Les petits gâteaux apparaissent, ainsi que du pain
maison tartiné. Marie, le prénom de mon hôte est toute émoustillée de tellement de vie d’un coup, elle sort son appareil photo et immortalise la scène. Un jour une photo vieillie trônera avec les autres clichés au dessus du poêle à bois : tu te rappelles c’était le français qui était
passé en kayak. Pour donner un peu plus de joie à Marie je leur demande de me suivre pour les amener à mon bivouac, ils me questionneront, sur ma différence, ma famille, mon île. Pourquoi seul, à quoi ça sert ? Juste pour vous rencontrer et ça c’est un sacré cadeau !
A pluche !
Le silence c’est le bruit du temps qui passe…
1 juillet 2012Le feu me réchauffe, le temps s’est arrêté. Le suroît ne veut pas de moi, le golfe de Botnie lui a confié mon âme errante. Leur deal est de me bloquer pour me nettoyer, me laver de trop de poids à porter. Depuis le Yukon je n’avais plus gouté à cette solitude si étrange, si collante, si envoutante. Bloqué dans une minuscule anse, super abritée du sud un peu tempétueux, je suis pris en otage par la vie. Rien à y faire, pas de route, pas d’homme à qui causer, pas de connexion virtuelle, un voyage de l’intérieur profond et intime. Le vent, la pluie m’emmitoufle, je réanime le feu réparateur, j’ai une tâche primordiale prendre le temps
comme il vient. Je n’ai rien à faire, mais alors, j’ai tout à penser ! Je confectionne un banc avec quelques bois flottés happés par une tempête. Je pars à la recherche d’un tronc de pin qui saura tenir le foyer. Un corps de phoque en décomposition gît devant moi, j’essaie
d’imaginer sa naissance, sa vie, sa mort, tout ça pour finir jeté sur une plage de sable. Tient et moi où serais-je à la dernière minute de ma vie. Dans un hôpital intubé de partout, au fond de quelques océans si près de l’épave à trésor, de ma belle mort froid dans mon lit. J’éclate
de rire, à voir la tête déconfite de certains. C’était un mec bien, mais il ne se l’est pas un peu cherché quand même !!! La vie, la mort, la souffrance, quand le silence s’installe, les mots clés surgissent. Plus le temps de fuir, plus de sujet tabou, tout vous remonte à la gueule,
une avalanche d’informations que la surinformation rend boiteuse. Pourquoi se préparer à la mort, il y a le match ce soir. Pourquoi tout mettre à plat, je viens d’être augmenté. Dans quelques années je serai enfin à la retraite. Non je n’ironise pas, je cause avec le silence,
qui s’est assis en face de moi. Il n’a pas besoin de mon feu pour se réchauffer, il m’a trouvé, alors par ce temps froid et humide il m’a enlacé. Une sterne à tête noire se moque de mes pensées ; son travail pêcher pour ses oisillons, elle me fait confiance et s’approche incroyablement, je lui donne un nom : fägel (oiseau en suédois) ! Elle plonge, elle donne la mort à une ablette pour donner force à son rejeton, la chaîne de la vie. Toute la journée elle est autour de moi, un plongeon, un regard. Je crois en la relation homme-animaux et je fais parti de ces privilégiés à qui ils arrivent toujours des histoires incroyables avec eux. Une mésange qui hoche la queue, de jalousie certainement, vient s’intercaler entre Fägel et moi, sur c’est une fille !!! Voilà les amis, il est temps que je rentre sous ma tente à rejoindre mon duvet. La mascotte a lâchement abandonné la méthode assimile en suédois, elle ne supporte pas que le mot gâteau soit traduit par « kaka » !!!
Adjö
La cabane rouge…
24 juin 2012Habitude lapone, certainement, il a plu toute la nuit ! Ce qui procure encore plus une sensation de cocon au fond du duvet sous la tente.
L’habitude se précise pour démonter le camp et démarrer la journée. Dés 7h30 me voilà déjà en selle. Le vent prend une composante Sud juste là où je me dirige. Bien qu’ayant parcouru cette route l’année dernière en voiture je suis désagréablement surpris des « bosses » qui m’attendent. Des côtes qui n’en finissent plus et le vent qui se renforce faisant de moi un véritable escargot du bitume. Mes premières quatre heures sont une torture. J’essaie de ne pas y penser, de ne pas faire de calcul de moyenne, mais la machine à cogiter, m’amène dans les ténèbres des pensées négatives. Je maudits les quelques voitures qui me doublent, déteste les motards, rouspète après les camions. Jo Zef a failli être débarqué !!! Pour la pause déjeuné je suis au bord d’un mini lac, un nid à moustiques et malgré le fraîchissement du suroit je suis agressé. Je me camoufle dans ma parka. Le soleil est enfin en action et l’envie de m’allonger me titille. Je m’enferme dans ma veste et me laisse caresser par ce soleil, certes timide mais cajolant. Je sombre dans un profond sommeil, pendant une micro sieste de 15’ qui me redonne une patate incroyable. Je reprends la route, un gros orage, me pleure dessus, peu importe malgré les coups de boutoir du zef, j’avance. Le coin est désert et seuls quelques hameaux croisent mon chemin.
6h légale de pédalage soit 8h00 d’errance depuis que j’ai levé le camp. Je décide de continuer, puis la route me rappelle la cabane rouge ! On s’y était arrêté l’été dernier, on avait cassé la croute au bord d’un fleuve… si je retrouve le coin j’y dresserai le camp. Jo Zef sort la tête du sac étanche, il siffle, il saute en marche !!! Ouais la mascotte, c’est bien là !!! Le vent est toujours violent, tant mieux les moustiques se tiendront à carreaux. Je hume le lieu, me remémore les bons moments passés là avec Véro. Une cabane rouge abandonnée en bordure du cours d’eau. Je monte la tente et pars me laver dans la rivière. Je m’immerge en partie et laisse mes jambes se régenter dans cette eau issue de la fonte des neiges. Je cueille des pissenlits, de la rhubarbe sauvage et m’active à faire sécher mes affaires. Un homme me rend visite, le propriétaire. Il m’autorise le bivouac, il me demande quelle est ma route, je m’informe sur sa kotta. Ses parents y ont grandi, elle est centenaire. Abandonnée depuis plusieurs années il n’a plus le temps de s’en occuper. Yan me laisse ses coordonnées, moi les miennes. En 2002 il avait fait le tour de la Corse et se souvient parfaitement de Bonifacio.
Ce soir au menu, pissenlits assaisonnés avec une boite d’harengs à l’huile et deux œufs durs, soupe de poisson norvégienne et compote de rhubarbe. Elle est pas belle la vie ! 97km quand même !!!
A pluche !