Camp ouest Agdlugtodq
1 août 2017Je ne sais pas si je suis plus heureux d’arriver ou de partir, c’est la quête du nomade, se poser en sachant que proche sera le départ. Le village abandonné d’Agpat est dans mon dos, le courant nous porte vers l’inconnu. Un phoque décide de jouer les bodyguards pendant une bonne heure mais ce loustic reste toujours à distance, alors je l’engueule mais plus je parle fort plus il tente de sortir sa tête de l’eau pour savoir qui est le fada qui lui cause.
Le fameux cap où on m’avait prévu dangers et courant est d’un calme incroyable. La route occidentale de l’ile d’Agdlugtoq, n’est pas des plus faciles pour trouver des coins bivouacs, alors je cherche. Un premier arrêt me présente de gros galets, où il m’est absolument impossible de sortir Immaqa. Plus au sud, une plage de galets plus petits semble mieux mais les 3m² habitables sont difficiles à trouver. Depuis Qeqertaq, je possède la table des marées ce qui me permet de m’organiser, et là aujourd’hui le coefficient est faible et les hautes eaux vont se situer vers 17h30. Je décide donc de placer ma tente sur la plage face à l’île de Disko. Les très gros icebergs sont vraiment loin, donc en se désagrégeant ils ne feront pas de vagues ravageuses au bivouac des nomades polaires. Si les moustiques ont un peu diminué, ce sont les brûlots (entre la mouche et le moustique mais minuscule) qui pullulent, il y en a des milliards, impossible de rester sans moustiquaire de tête, un vrai calvaire. Vers 12h, je monte la tente pour manger ma truite saumonée déjà cuite, à l’abri et oui je me soigne !
Le ciel est gris et la température est douce sans rendre la tente comme un four. Je me repose, mais il y a un petit mais, mon moignon me fait souffrir le martyre. Les galets et la toundra rendent la marche casse patte, ma perte de poids aussi me rend plus ample dans l’emboiture de la prothèse, alors je serre les dents. Mais ce n’est pas ce détail qui va m’empêcher de vivre, il m’en faut plus pour me plaindre. Une fois le bivouac en place et la sieste organisée, je pars en clopinant à la recherche du grand lac à quelques boiteries de là. Immense, sublime et isolé comme jamais. Je n’arrive pas à croire que nous sommes le 1er août. Des glaciers, à perte de vue et des lacs plus beaux les uns que les autres… Demain, je vais tenter de faire un beau bout de route pour retrouver un coin plus abordable, le coin de ce soir ne me plait qu’à moitié, je n’aime pas être aussi proche de l’eau…
La mascotte a de plus en plus la langue bleue, c’est grave docteur, ou ce sont les myrtilles ?
Libre, enfin libre
23 juillet 2017J’étais prêt, nous étions prêts, mais la baie qui nous abrite est déjà couverte de moutons, du vent d’est bien sûr ! Je ne comprends pas, je n’arrive même pas à crier. Ici, en cette saison, c’est toujours le calme plat, la mer même pas ridée et depuis mon départ, il y a déjà 34 jours, les vents contraires ne m’ont pratiquement pas lâché. Je rumine : mais pourquoi ? Au départ d’Ilulissat, une montagne s’écroule en mer en ravageant la côte du nord d’Uummannaq, un village rayé de la carte et des morts. Puis une autre montagne menace de s’écrouler, le passage est interdit, mais têtu je poursuis quand même, mon passé prend le dessus, j’ai tout vaincu, je n’ai jamais été freiné par mes peurs, et pourquoi je ne passerai pas ? Puis la péninsule de Nuussuaq, un désert de lave où je me fais ramasser par deux gros coups de vent, un delta boueux qui me glace les os en manquant de me faire chavirer et la mort dans l’âme je rebrousse chemin. Alors s’en suit un chemin de croix, sur la route j’érige même un calvaire dédié à la Liberté, mais rien à y faire, le vent me refuse, il joue de mes bras, de mon dos, de mon égo surtout. Rien à faire, j’avance, 20km en 8h de mer, mon record de lenteur est battu. En Botnie, j’avais traversé cette mer sur 1200km en 42 jours, sur le fleuve Yukon j’avais fait une étape de 140km, mais là, le voyage prend une autre dimension…
Il me faut sortir de la tente, ses coutures me sont devenues familières, un sommet me permettra de trouver le calme et la sérénité. Au loin le fjord de Torssukatak, au milieu de ces géants de glace, des moutons, les rafales se jouent des icebergs, je m’assois face à ce spectacle. Il me faut faire le vide, avec ce vent aucun moustique ne peut jouer le trouble fête. Il fait vraiment froid mais le ciel est bleu azur. Je m’assoupis, peut-être que mon corps est là mais mon esprit s’évade, à mon retour sur terre, un raisonnement m’effleure. Je ne dois pas être prisonnier de mon égo, et mon égo c’est le passé, c’est le futur mais ce n’est jamais l’instant présent. Pourquoi avancer sans relâche, pourquoi toujours l’action ? Je ne suis pas une machine mais un simple petit homme avec toutes ses faiblesses et ses doutes. Cette expédition doit changer, elle est complètement morte, désintégrée. Ce que je vis au quotidien est exceptionnel, mais je ne suis pas sûr qu’en voulant avancer toujours, je découvre quoi que ce soit de ce présent. A peine arrivé sur zone, je dois deviner si la marée basse me fera quand même partir le lendemain, puis le camp doit être monté au plus vite, trier la nourriture du soir, celle du matin, bricoler deux trois trucs, écrire ma journée et m’écrouler pour redémonter sans geste parasite le camp et reprendre la mer, ceci à l’infini. Je suis maître de mon destin alors, des choses vont changer…
Là haut un souffle de bonheur me prend aux tripes. J’avais oublié que j’étais un Freeman. Kiffaanngissuseq en groenlandais qui veut dire homme libre est tatoué sur mon avant bras gauche, ce n’est pas pour rien, non ! Alors je deviens l’explorateur d’un pays fantastique, la pente sud mène vers de belles prairies. A grandes enjambées, la toundra est foulée par un mec libre comme le vent. A un moment, un caillou attire mon attention, une énorme griffe est posée là devant mes yeux, incroyable si loin du bord. Puis, plus bas au bord de la plage, un ancien village est encore tracé au sol, des bases de maisons de tourbe où des hommes et des femmes ont vécu de manière si difficile. Le lieu est majestueux, plat sur un sol herbeux et face à la mer, avec une belle crique protégée du vent dominant qu’est l’est. Les premiers champignons apparaissent, une dizaine de chanterelles croisent mon pas boiteux, incroyable je ne savais pas qu’elles pouvaient pousser ici. Toutes crues, je les grignote ! Plus loin, un vieux cimetière tient encore debout, quelques croix ont survécu aux tempêtes. Ici cela ne fait si longtemps, peut-être à ma naissance, des inuits (qui veut dire en groenlandais, gens*) survivaient, alors qu’en bas, au pays des vies faciles, les hommes guerroyaient.
Vers 13h, je retrouve mon petit camp. A quelques encablures, une minuscule cabane rouge est posée, une table face à la mer est fixée au sol. Je vais m’embourgeoiser pour la squatter, mes nouilles chinoises aujourd’hui ont un sacré gout de liberté.
Demain on se retrouve sur les ondes de France Bleu RCFM avec Jean-Charles Marsily à 12h40.
A pluche
*Inuit veut dire en groenlandais : gens. Ici, ça irrite les locaux de s’entendre appeler gens alors qu’ils sont eskimos, groenlandais, hommes des glaces, mais certainement pas de simples : gens !
Sommet
22 juillet 2017Il est toujours là, il a décidé de m’accompagner jusqu’au bout, alors ce matin je lui fausse compagnie. Pas de petit point rouge sur l’eau, le nomade reste à terre, il ne reprendra pas la mer, le vent d’est n’aura qu’à s’en prendre à d’autres fous, s’il y en a par ici. La journée d’hier m’a éprouvé, une épreuve, un combat pacifique de chaque instant. Les bras vont bien, c’est la tête qui gère la mécanique, mais ce matin je n’avais pas envie de m’imposer encore un tour d’arène.
Je traine, je m’invente des petits trucs à faire, puis vers 10h, le sac à dos prêt, je pars vers quelques sommets inconnus. Ici pas de sentier, de panneau jaune, de refuge aux tartes à la myrtille fumante, ici, de la toundra et l’infini. Entre quelques plaques de camarines et des restes de lave, je progresse vers des belvédères qui devraient me faire entrevoir l’immense fjord de Torssukatak. En une seule petite heure, l’immense détroit est un spectacle à vous couper le souffle, au fond la calotte glaciaire qui se jette dans l’océan et là des centaines d’icebergs qui partent pour leur long voyage. Une succession d’arêtes me permettent de progresser toujours en hauteur, l’émerveillement est à son plus haut niveau. Je ne marche pas, je plane, les mots sont difficiles, il faut le vivre pour le comprendre. Un être humain, s’il est chanceux peut atteindre les 100 ans, là les colosses ont des milliers d’années. Dans leurs entrailles, notre histoire est précieusement conservée.
Dans mon sac, de l’eau et le matos au cas où, ici tu n’es rien. Une cheville qui se tord et l’enfer peut arriver. Prudent comme un animal apeuré, j’avance, mais Dieu que c’est beau. Là-bas au loin, mon camp, une tête d’épingle au milieu de l’infini. Je me pose encore et encore des questions sur nous les Hommes qui m’explosent à la gueule. Le toujours plus, la course contre le temps, la croissance qui est le seul leitmotiv des «autres » mais pour quoi faire ?
Un lac sur la carte m’intrigue. Derrière un piton, il apparait, un diamant, un joyau, ancré là devant mes yeux. Pas une cabane, pas une route, même pas les traces d’un pas, rien, que le sifflement du vent et le cri d’oies rieuses. Une perdrix détale devant mes pas, je ne suis pas seul alors… A 13h, j’ai rejoint le bivouac, mais à ma grande tristesse, mes lunettes de glacier manquent à l’appel, où les ai-je bien perdues ? 3 tartines de fromage et chorizo et une micro sieste plus tard, je tente de reprendre le même chemin. L’histoire est compliquée, mais je suis du genre têtu qui ne lâche pas si facilement. Au bout d’une heure, le même panorama m’attend de pied ferme. J’en profite encore un peu, puis je poursuis au deuxième piton mais rien, il me reste le troisième, grosse déception, rien toujours rien. Je me dis que vers le lac, j’ai peut être ma chance, mais pour retrouver ma trace exacte, cela se complique. Le plateau vallonné est encore couvert de névés et mes pas ne savent plus où se diriger. Sur une vire, le passage ne me parle pas, alors je rebrousse chemin et m’assois pour faire descendre la pression d’un cran. Sans lunettes, en mer, mes yeux vont avoir une durée de vie limitée, comment faire si je ne les retrouve pas ? Au moment où je me lève, un petit oiseau se pose à deux pas de mes recherches. On dirait le même qu’hier. A haute voix, je lui demande, sur un ton un peu de dérision s’il n’a pas vu mes lunettes ! Son chant prend de la force, mais il m’engueule, ma parole. Il se pose un peu plus loin, alors je le suis, puis il vole vers un autre caillou, je le suis encore. Jusqu’au moment où je vois mes traces dans la neige, et là au bout du névé, mes lunettes !!!
Promis je n’en rajoute pas, c’est la stricte vérité. Mes mots ne peuvent une fois de plus décrire ce que j’ai ressenti mais je peux vous dire que ce moment va être gravé dans ma tête et mon cœur toute ma vie. Je le remercie à haute voix, il prend ses airs et repart je ne sais où… Assis sur un piton face à l’immense fjord de Torssukatak, une pomme sera ma récompense. Je ne sais pas si ces oiseaux mangent des restes de fruits mais en tout cas, mes pelures étaient bien chargées de pulpe, une sorte d’offrande…
La vie est un cadeau, encore aujourd’hui elle m’a offert un présent doux et si tendre. De là haut, au pays des vents contraires et des glaçons millénaires je vous envoie toute ma tendresse…
A pluche