Torssukatak le géant

27 juillet 2017
 
Le coefficient de marée est très haut en ce moment et ce matin il me faut remorquer Immaqa sur 40 m jusqu’à l’eau. Le chariot, une fois de plus, est en avarie, décidément c’est un vrai gadget de plage. Je récolte toujours les petits «trucs» qui peuvent servir et c’est encore le cas, c’est reparti comme « neuf ». Mon matelas de sol est HS aussi, dans le groupe de Xavier, le Docteur Suisse qui m’a « ausculté », un jeune rentre au pays, son matelas va continuer le voyage à mes côtés. Jo Zef se demande si une tablette de chocolat ne serait pas oubliée par hasard !
 
Qeqertaq est déjà derrière. La forme est revenue, ça c’est bon pour le moral alors cap vers la côte occidentale d’Agdlutoq, mais avant ça il y a le titan Torssukatak à traverser, un déversoir à icebergs avec des vents catabatiques toujours capricieux. Pour le rejoindre, je vise le cap Nua qui est la porte du puissant détroit. Le vent d’est me prend à contre pied, tiens je connais la musique ! Puis le cœur serré, j’attaque les simples 5 km de traversée, la glace est quasiment absente, mais le vent lui, veut causer au p’tit kayak rouge. Je me cale et fais le vide dans ma tête de mule, il me faut le traverser et c’est tout. Le vent est constant de 15nds puis des rafales frisent les 25nds, une vraie partie de bras de fer. Au bout d’une heure, il me semble deviner des « souffleurs », oui les baleines sont en plein déjeuner, krill à volonté. Ce n’est pas trop mon cap mais je tente l’approche, la force du vent faiblit, chouette je vais à leur rencontre. 10’ pas plus et là un ventilateur est mis en route, clapot, rafales, tout y est. La mort dans l’âme, je vise le cap Qamavik qui sera ma délivrance. 2h de combat encore, mais c’est passé, je peux enfin me relâcher. Le goulet me porte vers le sud, mes nouilles chinoises vont bientôt infuser. Seul au monde, je me remémore la petite traversée, heureusement que la forme est au rendez-vous.
 
Il me faut reprendre la mer, ici ce n’est pas jouable pour le bivouac du soir. Tranquillement, le vent devient brise et il me porte, quel bonheur. Soudain, sur mon tribord, un mât dépasse d’une profonde crique ! Incroyable, des voyageurs. L’approche est une sorte de dégustation, quel sera le menu de la rencontre ? Polaris, c’est le nom du beau sloop en alu, bat pavillon allemand. Mickaël m’accueille avec un chaleureux sourire,il me propose de monter à bord mais sortir de mon kayak en « long side » d’un bateau est un jeu de cirque que je ne veux pas tenter. Depuis 2009, avec son épouse Martina, il sillonne les mers polaires. Quand je lui demande s’il connait la Méditerranée, on est sur la même longueur d’ondes. Trop chaud, trop de monde, plus aucun endroit n’est paisible, ici au Groenland c’est encore un paradis. En quelques instants, nous dévoilons nos bouts de vie mais je sens Martina fatiguée. Un cancer lui a lancé un défi. Elle me sourit, elle sait que la lutte est inégale mais ces quelques jours avec son mari, ici au pays du silence, lui sont salutaires. Mickaël en profite même pour me réparer mon trépied qui a perdu une fixation et me voilà aujourd’hui avec un chariot, un matelas de sol parfait et un trépied en plein possession de ses moyens. Nous nous saluons chaleureusement, les «take care» fusent, ici on n’est rien et nous le savons.
 
Le nomade que je suis reprend sa route. Au détour de quelques dalles, une aire de bivouac me semble parfaite. La brise est fraîche, juste assez pour chasser les moustiques, mais les brulots ont repris le flambeau, mais ça c’est un détail que je ne vois même plus… Le coin est une fois de plus somptueux, quelle chance de le vivre si intensément. Malgré ces heures de gladiateur face au vent, un air de liberté me prend aux tripes ce soir. Quel joyau la vie, quel trésor notre existence. Si vous me demandez pourquoi je fais ça, je ne pourrais vous répondre que parce que je suis en vie et que les «risques» vous font apprécier encore plus la vie, parce que l’effort vous nettoie du superflu, parce que les anges ne sont accessibles que quand on se met à nu, sans aucune défense. Ici, ce soir, sous ma tente, je suis à la merci des éléments et c’est ça que je suis venu chercher. Ce n’est pas un record, un challenge mais un bout de vie plus fort que le confort et la routine…
 
Qu’un vent de liberté vous envahisse. Laissez la faire, elle est de douce compagnie. Vos pensées positives m’ont beaucoup aidé pendant ma brève convalescence, votre énergie me vient jusqu’ici, merci d’être là…

Le cap Senetosa à cloche pied!!!

23 novembre 2011
Ouille houle!!!

Ouille houle!!!

Quand on pense aventure les idées s’envolent au bout du monde et pourtant…

L’automne est en phase de mort lente ; l’hiver me susurre des mots si doux que je ne peux y résister. Immaqa n’avait pas eu droit à ses balades longues et paisibles sur la côte Sud-ouest de la Corse. Tout est paré, yakapagayer ! La météo me presse une sortie engagée, mais vu mes préparations de gladiateur je veux toucher du doigt si j’ai acquis un bon niveau. Ouais, ouais !  Le golfe de Figari est déjà blanc et météo France a teinté d’orange la vigilance pluviométrique. On n’est pas en océan Arctique, alors on ne s’affole pas à bord et on pagaie. On ! Je dirais plutôt, je ! Le vent de Sirocco est violent et l’effet de fëcht rend la traversée  de la première baie en sorte de Horn pour kayak en peine. Je ne peux plus revenir en arrière, le vent mord et il me mène cap au nord. Un petit arrêt café canistrelli et je reprends la route, je voudrais arriver à mon escale avant la nuit. Le vent forci et le force 6 m’amène son cousin musclé 7 voir 8. Mon Nautiraid est un bon marin mais je l’ai chargé à ras la gueule pour me mettre en vraie condition d’expédition. Les oreilles tendues j’essaie d’anticiper la déferlante, au bas de la vague je n’ai pas le droit d’abattre sinon c’est le bain ! Vent dans le dos, c’est normalement des vacances, mais la tournure me fait tirer comme un malade sur mes pagaies… Bref ! Huit heures de bonheur à être trempé comme une éponge pour retrouver ma planque de corsaire. Le coup de vent est bien établi et la tente est montée avec vigilance. Je me transforme en bucheron et ramasse toute sorte de bois flotté pour alimenter un bon feu qui essaiera de me faire sécher. 20 h je grimpe en haut d’un caillou pour donner des nouvelles à ma princesse et un plaisantin ouvre le robinet de douche. Un déluge s’abat sur le petit pagayeur bien isolé. Blotti dans mon duvet, je savoure ce moment de grâce avec les éléments. Au petit jour c’est toujours la pluie grasse qui rassasie le maquis souffrant d’une sécheresse peu commune. Un petit tour d’horizon du camp et je rejoins ma tanière, le vent n’a pas molli et les éclairs strient les montagnes, c’est décidé je reste. Je profite d’une accalmie pour ramasser du bois, l’odeur des buissons m’enivre, les fragrances sont enfin là, la nature se saoûle de tant d’eau. Une orgie aquatique, un festin lacustre. Je quête le morceau de genévrier sec quand soudain explose un bruit de branche qui casse, je m’écroule, ma botte droite est à l’envers, je me suis brisé la cheville ! A genou dans une marre de boue je ne peux que constater le désastre, je deviens un aventurier à cloche pied !!! Je ne souffre pas du tout, et pour cause c’est ma prothèse qui s’est brisé !!! Je prends le temps de me mettre en terrain sec et essaie de bricoler quelque chose pour rentrer au camp, ces six cents mètres m’ont paru un poil long. Au fond de mon kayak je trouve un restant de colle rapide, un peu de gros scotch et je tente une réparation. J’allume, avec beaucoup de difficultés, sous la pluie un feu qui devra accélérer le processus de séchage de mon bricolage. Le déluge reprend le deuxième round, enfouis dans mon duvet, je pense, je rêve… Maggi sèche avant de reprendre un service provisoire. Les jours passent mais je dois reprendre la mer, ma prothèse ne m’inspire pas confiance et avec beaucoup de vigilance je charge Immaqa. La houle submerge la petite passe où je me suis réfugié, je calcule les séries et constate quelques secondes de calme. Il va falloir jouer fin, pour ne pas finir en puzzle ! Tout est en sac, prêt à être chargé et j’essaie de faire le vide, de ne pas regarder cette trachée en furie. Le premier boulot consiste à mettre le kayak dans le bon sens puis à répartir les charges. Ma prothèse acquiesce les contraintes du terrain très accidenté jusqu’au dernier voyage où je m’écroule ; mon bricolage a de nouveau lâché, il ne pouvait pas tenir bien longtemps… A cloche pied je charge mon embarcation, la mer semble se moquer éperdument de mes « tracas jambiaux». Je ne vais plus pouvoir utiliser mon palonnier et la direction ne sera qu’à la force des bras. Je me cale dans mon hiloire, vérifie l’étanchéité de mon bord et agrippe encore à l’abri de la furie un caillou pour attendre le moment opportun pour m’élancer. Un raz de marée d’écume me lèche la proue, j’ai dix secondes, pas plus, pour passer, la boule me prend les tripes mais je dois la renvoyer en fond de cale, ce n’est pas le moment. Je pars comme un avion, ouf je suis dehors mais là horreur devant moi trois immeubles consécutifs m’attendent pour me donner quelques cours d’humilité. Pas de direction au pied alors il faut pagayer comme un forçat, je monte face au colosse pour me sentir tomber dans le ventre mou du monstre. Pas le temps de flâner, je suis déjà dans la deuxième, je ne veux pas y croire la vague se casse pour se déverser sur moi. Je dois rester droit dans l’axe sinon j’explose en vol, la chute est terrible, Immaqa semble souffrir autant que moi. La troisième semble vouloir me donner le coup de grâce, plus longue que mon kayak, je me retrouve à la verticale, j’incline au plus que je puisse mon buste en avant, je ne veux pas sancir, ce serait fatal ! Je tire de toutes mes tripes sur les pagaies, je m’envole vers le paradis des Cabochards, sensation terrible de voler en kayak, je m’écrase dans un lit de mousse et me retrouve en pleine mer… Les heures qui suivront m’amèneront dans un calme déconcertant au petit port de Tizzano qui semble être rentré en léthargie hivernale.

Sur une patte, je m’extirpe de mon hiloire, quand deux hommes qui travaillent sur le quai mettent un nom sur le pagayeur un poil ému d’être tout simplement encore de ce monde de bipède, enfin presque !!!

A entraînement dur, expédition moins difficile !