Mont Blanc jour J

29 août 2019

Le sablier du temps qui passe ne cessera donc jamais ? Il y a une semaine je quittais ma terre d’adoption le Groenland, 7 jours après je me retrouve à quelques heures de l’ascension du Mont-Blanc.                                                                                                                                                                                       Entre temps j’ai changé de prothèse, je peux vous dire que je revis. Entre temps j’ai retrouvé mon amoureuse, trop brièvement à notre gout. Entre temps je me suis mis en mode « alpiniste » qui a le pas boiteux !

 Quelques semaines, juste avant mon départ pour le Grand Nord,mon équipementier CimAlp me proposait l’ascension du Mont Blanc en même temps que la course mythique UTMB couru par leurs athlètes Laure et Florian. Comment refuser, comment ne pas être tenté par cette aventure. Bien-sur je sais que c’est une autoroute, 25000 personnes le grimpent par an, cela m’en donne le tournis.

 Alors j’ai tenté d’oublier le silence du Groenland pour faire face à nos pauvres montagnes câblées, balafrées. La météo pas trop favorable, m’a offert quelques jours de rab pour récupérer et m’acclimater. Ce qui m’a permis de partir sur des chemins escarpés, pour savoir si mes plaies étaient bien refermées, si ma prothèse plan B pouvait supporter une telle ascension. La réponse est quasiment positive, ce sera du 90%, alors pourquoi se plaindre. Mais entre vous et moi j’ai dû surmonter bien plus qu’une pauvre boiterie.

 En pratiquant une rando qui m’a fait prendre de l’altitude, j’ai emprunté un sentier balisé. Haut dessus de ma tête un vieux glacier paraissait mourir, je lui causais de la calotte du Groenland. Il m’a confié qu’il y a très très longtemps il en faisait partie lui aussi. Puis au-delà des 2500mts, les arbres se sont raréfiés, la toundra alpine m’a coupé la route. Sous mon pas de carbone je retrouvais avec joie des tapis de myrtilles, des champs de linaigrettes cotonneuses, des Niviarsiaq alpines, des camarines. Les marmottes avaient remplacées les phoques annelés mais hélas mille fois hélas le silence n’existait plus. Impossible de ne pas entendre une remontée mécanique, impossible de ne pas sursauter aux bruits des randonneurs qui ne savent pas se taire. Une immense tristesse m’envahissait, des larmes mes montaient aux yeux. Mes frères ne se rendaient plus compte du mal qu’ils semaient et à quel point ils s’étaient déconnectés de la Nature. Cependant je me reprenais, ma mâchoire se serrait, et mon pas m’emportait à mon objectif. Une colonie bruyante me suivait de prés, un caillou perchoir me tendait son promontoire pour une excuse café mais surtout pour les laisser passer… Au bout de 10’ je reprenais ma route, la langue du glacier devenait imposante, pourtant il me semblait l’entendre gémir. Le dénivelé s’intensifiait, la moraine imposait une marche plus précise, certains passages étaient sécurisés par des mains courantes toutes rouillées, témoignage du flux d’alpinistes fréquentant les lieux. Puis un homme au pas lent qui descendait, croisait mon chemin, son allure m’intriguait. Quel âge pouvait-il avoir ? Je lui laissais le passage, quant à ma hauteur, je lui offrais le bonjour d’usage en montagne. Son visage buriné par la vie alpine laissait deviner de longues courses engagées depuis bien longtemps. J’osais lui demander son âge. 4 fois vingt ans plus quatre ! Nous papotions tranquillement, quand je remarquais que ses chaussures montantes n’étaient pas bien lacées. Un peu gêné il me confiait qu’il n’était plus assez souple pour pouvoir le faire seul. Avec son autorisation, je posais genou à terre pour les lui refaire. Un grand sourire me remerciait, puis il me dit que j’étais vraiment différent. A mon tour je lui souriais en lui affirmant la chose et levais mon pantalon pour lui dévoiler ma différence. Ensemble nous nous mettions à rire en silence. Une belle poignée de main chaleureuse nous faisait reprendre nos chemins respectifs…

Cette rencontre m’a réconcilié avec les êtres humains, cette rencontre m’a redonné un peu de baume au cœur et du coup je voyais un peu moins les balafres que les alpes recevaient des hommes.

L’équipe CimAlp est aux petits soins pour moi, dans quelques heures je vais partir sur le toit de l’Europe, ce sera une ascension nocturne. Des mots s’envolent, des souvenirs vont se graver, des pas vont s’emboiter.

 Partir vers les étoiles avant que le jour se lève, partir sous les étoiles avant que mon dernier jour n’arrive, partir avec les étoiles en emportant le sourire de l’être aimé, partir vers les étoiles en demandant aux esprits de la montagne d’être indulgent avec le fou boiteux mais libre comme le vent…

Vive la vie.

Takuss