10 ans, déjà 10 ans

27 novembre 2015

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Le 30 novembre 2005 Dume et moi, nous nous élancions dans une folle aventure, dans un défi qui se révéla une épopée. 18 mois auparavant, l’extravagant rameur Jo Leguen se retrouvait au premier stage de plongée Bout de vie et devant une bouillabaisse il nous lançait le défi de traverser l’Atlantique à la rame. Avec Dume nous relevions le pari sans savoir ce qui allait nous attendre. 18 mois pour bâtir un projet énorme, trouver des sponsors, un bateau et surtout se préparer en ramant comme des galériens. Nous ne voulions pas que participer, nous voulions aller sur le podium, car, oui, c’était une course, nous n’étions pas que les seuls fous. 26 bateaux identiques pour en découdre avec 5500 km d’océan, 3300 milles marins pour devenir les premiers handis à réaliser cette folie. Mais vous commencez à me connaître être mis dans le rang des handis me donne des boutons et en mer ça pique les fesses l’urticaire ! Alors nous avons laissé nos boiteries à quai et nous avons bossé. Des partenaires plus qu’improbables, se sont comme par miracle greffés, au projet. Quand un Prince Albert II de Monaco vous prend par l’épaule pour que vous lui racontiez votre vie de Cabochard « ça trou le cul, non » ! (Pardon!!!)  Et qu’en plus de la soirée organisée à cet effet il sort des billets violets pour un petit supplément, ce n’est pas énorme ! Quand le big boss de l’Agence Spatiale Européenne, t’appelles le 1 janvier pour te rencontrer au plus vite ça donne des ailes, non ? Et le rêve n’est qu’a son apogée. Alors avec cet engouement autour des « pôvres » deux unijambistes têtus, nous avons inventé notre « ramerie » océanique, nous avons essayé de penser à l’impensable. La grue de Bonifacio nous a fait chavirer à maintes reprises, pour voir comment ça fait en mode machine à laver programme essorage ! Nous avons tenté le diable avec les Bouches de Bonifacio en sortant par tous les temps. Mais la plus belle fût la première sortie ! Calme plat et sans courant mais pourtant il nous a été impossible d’accorder nos pelles et je peux vous dire que sur les quais des pêcheurs personnes ne donnaient cher de notre transat ! Mais nous avons bossé, nous avons travaillé comme des gladiateurs pour être enfin au départ à la Gomera aux îles Canaris. Du monde entier, des bateaux identiques étaient arrivés, de toute la planète des poètes allaient se lancer dans un inconnu d’eau salée. Pendant 20 jours nous avons été jaugés, contrôlés jusqu’à ce que la date du 27 novembre arrive. Mais une fois de plus je me suis fais remarqué en allant annoncé qu’avec Dumé nous ne serions pas sur la ligne, que ma petite expérience de marin me disait de rester à quai car un coup de chien de Sud-ouest arrivait pilepoil le jour du départ. Sans attendre leur réponse je repartais à notre Yole numéro 20 (département de la Corse) pour doubler les amarres et donner quartier libre à Dumé. Grosse panique au QG géré par un staff britannique imposant. Mais avant que je prenne ma voiture de location pour visiter la magnifique île  de la Goméra en mode bon touriste, un des organisateurs me rattrape pour me présenter ses excuses car effectivement une dépression impressionnante déboulait sur l’archipel et qu’il y aurait eu une hécatombe dans la flottille ! Et voilà enfin que le 30 novembre nous larguons les amarres, que nous rentrons de plain-pied dans ce rêve sans savoir que cela va être plutôt un cauchemar de souffrance. Le premier soir fût terrible, la nuit nous enveloppait, pour cacher nos visages terrorisés, comment oublier les proches que l’on avait laissé à quai, comment savoir ce que l’Atlantique allait nous réserver ? Le mal de mer me tenait la jambe pendant 4 semaines, mes doutes eux sont restés fidèles jusqu’à l’arrivé. Deux tempêtes tropicales nous ont fait reculer pendant 10 jours, 2 fois 5 jours à se morfondre, 240 heures de tortures mentales ! Puis la routine des jours qui s’égrainent avec un alizé musclé comme on n’avait pas vu depuis plus de 30 ans d’après météo-France, « chouette on va aller plus vite »! Puis le 40éme jour une vague scélérate nous brise le safran ainsi que notre rêve d’arrivée. Mais si malgré une jambe en moins on a su survivre ce n’est pas un gouvernail amputé qui va nous stopper, non mais ! Après une nuit de gros bricolage, que même Mac Gyver semblerait perdu, nous nous en sommes sorti pour reprendre la mer. Cette fameuse même nuit 7 équipages déclenchaient leur balise sat pour être secourus. Finalement au bout de 54 jours 3 heures et 32 minutes nous finissions 3éme en laissant le dernier équipage à 30 jours derrière nous… Et voilà 10 ans ont passé, avec Dumé nous nous voyons régulièrement et notre complicité nous mène là-bas où nous avons réalisé un truc de fou. Interviewé par un nombre incroyable de journaliste mon frère de rame avait repris la citation de Marc Twain : Il ne savait pas que c’était impossible c’est pour ça qu’ils l’ont fait. La yole à été vendue, Franck et Angéla ont suivi le sillage et certainement d’autres ont porté leur prothèse au milieu de la grande bleue. Grace à cette traversée l’association Bout de vie c’est fait connaître, nous avons reçu des centaines de messages plus beaux les uns que les autres, 10 ans après, des inconnus nous interpellent encore pour nous féliciter, 10 ans après !  Mais bien plus fort que tous ces hommages, plein de cabossés de la vie ont, par cette traversée, trouvé une réponse à leur question de vouloir vivre malgré un bout en moins.  Mon premier livre en parle bien sur, deux documentaires illustrent cette transat anglaise et par le biais de ce blog je tenais à remercier du fond du cœur tous les contributeurs à cette course qui restera gravée très longtemps dans mon cœur, dans mon âme, comment oublier.

Pour se remémorer cette aventure les deux documentaires à voir sans modération, juste après les photos.F1000004webF1000007webDSC_5621web

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FR3 Corse Via Stella Al di la di u mare 

FR3 Thalassa Dans le même bateau 

Arrivée de Frank & Dumé et remerciements

23 janvier 2006

medailleUn peu moins de 24 heures qu’on est arrivé, »retour arriere » : la nuit est pluvieuse comme d’hab, la houle semble se calmer le vent aussi, au petit jour mademoiselle « L' » vient encore nous rendre visite. Les lumières de l’île sont invisibles tellement la pluie est violente pourtant on la sent elle nous tend les bras avec ses joies et ses pièges car en plus de tous les problèmes de navigation habituels se rajoute les problèmes d’approches côtières. Les hauts fonds et les contre-courants. La nuit fut interminable, le rêve nous tend les bras mais on a peur. Ce serait terrible d’échouer si près du but, on commence à voir les premières villas blanches, on devine même sur notre tribord le reef et ses brisants mais on avance, le vent au petit jour se renforce ainsi que la houle. Ce sera fort jusqu’a l’arrivée, l’Atlantique ne nous épargnera donc pas, il boira notre énergie jusqu’à la lie.

Soudain le téléphone sonne l’organisation,le bonheur, vient à notre rencontre, les journalistes nous harcèlent, tout le monde nous donne déjà arrivés alors qu’il y a encore 5 nautiques, on pense au matos de fortune qu’ils tiennent encore le coup, un mât dans cette houle terrible avec le pavillon de bout de vie et un pavilon Corse énorme. Oui ils sont là, ce sont nos proches, on ne sait même plus quoi faire tellement le bonheur est grand. Leurs sourires nous illuminent, nous réénergisent, on y croit c’est là. Le cap de Shirley point-est passé, la sirène est déclanchée, c’est fini. Je fait péter un feu de détresse merci la vie on est arrivé et en bonne état. Nous pénétrons dans la rade de English harbour, les bateaux au mouillage déclenchent leur sirène. Les gens sont venus nombreux, à notre surprise le ponton d’accueil est noir de monde mais seul le regard de nos proches nous importent, je met un point d’honneur pour que ce soit mon pére qui prenne nos amarres…DE MA BLESSURE A JAILLI UN OCEAN DE
LIBERTE.

Remerciements : Napadélice, qui nous a suivi pendant quelques jours, Mademoiselle « L » notre pétrel ange gardien de « Bout de vie », à Dame Atlantique notre maître de stage qui nous a acceptée comme élève, à tous les cargos qui nous ont évité, au voilier australien qui de nuit nous a tenu compagnie par radio sans jamais croire qu’on était à la rame, à vous tous à terre qui nous ont soutenu et cru en nous, à tous les journalistes qui nous ont soutenu, nous soutiennent et nous soutiendrons (à tous ceux qui nous ont pris pour des billes tant mieux de votre non-soutient, vos papiers ne sont pas du tout lu sur l’atlantique par nos amis), à tous les mammifères qui nous ont approché sans nous toucher et à mon prof de Français qui m’a permis d’écrire tout au long de ce voyage le journal de bord sans aucune faute de français !!!

Dimanche 22 janvier 2006 – A bout d’aviron

22 janvier 2006

Certainement notre dernier dimanche à ramer, la terre n’est plus qu’à 84 nautiques devant nous mais nous n’arrivons toujours pas à realiser, concentrés tel est notre devise tant que le bateau ne sera amarré à quai, rien n’est acqui.

Bien sûr on y pense on s’y prépare mais pourtant encore au moins 24 heures dans nos
quart de repos nous n’arrivons pas à dormir tellement nous sommes excités comme des ados qui savent qu’une super boom les attend ! L’océan nous secouera jusqu’au dernier moment mais on sert les fesses, la delivrance est pour bientôt, tous ces moments de tension ne seront bientôt que du passé à oublier et à analyser…

Samedi 21 janvier 2006 – Peut-être encore que 48 heures ?

21 janvier 2006

Ce matin les organisateurs nous ont adressé un message nous prévenant d’un danger de mer très formé et des rafales de vents pouvant atteindre les 40 noeuds. C’est le coeur serré et sous haute pression que nous allons achever cette incroyable traversée. On aurait aimé un peu plus de clémence pour nos vieux os déjà bien amochés mais nous sommes devenus fatalistes.

Derrière nous, beaucoup aimeraient être comme nous ; si proches de l’arrivée. Nos proches sont arrivés en Guadeloupe et rejoignent Antigua aujourd’hui, ça fait du bien de les savoir si près. 152 nautiques nous séparent d’eux et ca va être long ! Que nos anges gardiens continuent leurs superbes bouleaux…

Vendredi 20 janvier 2006 – Au dessus de nous…

20 janvier 2006

Alors que nos conditions de vie à bord sont toujours aussi précaires, la haut dans le ciel, nos proches volent pour nous rejoindre. Nous essayons de calculer par rapport à leur horaire d’atterrissage aux Antilles pour les imaginer au dessus de nos têtes en train de déguster un savoureux repas chaud alors que nous sommes sous des métres cubes de pluie et d’écumes tout le temps.

Bien sur il ne reste plus que 200 nautiques mais Dieu qu’ils sont longs et pénibles. Nous imaginons comment se passeront les retrouvailles, les mots ne serviront à rien, juste les yeux, les accolades pour leur dire merci de nous être si proche, si attaché.

Le verbe aimer prend une autre ampleur, il devient savoureux, rassurant, en Corse on dit « Ti tengu cara » si on le traduit littéralement cela signifie « je te tient chére ». Et voila une fois de plus ce n’est pas l’homme qui écrit mais cette âme qui est partie meurtrie d’une vieille blessure et qui au fond de son parcours de rameur a compris tout simplement que notre passage si éphémere sur terre ne doit etre qu’AMOUR…

Jeudi 19 janvier 2006 – EDF energy arrive !

19 janvier 2006

Bravo, il viennent d’arriver, chapeau bas, car la route est longue. Que de nuits blanches, que de doute et pourtant le bonheur est là, au bout du chemin, patience et persévérence sont certainement les clefs de la réussite. Alors bravo messieurs !

Encore quelques jours et quelques nuits avant l’aboutissement, comme nous a dit Jo : un souvenir, ça ne s’achète pas, ça se vie ! Celui là est en train de se réaliser et c’est sûr il laissera des traces car déjà maintenant il a entrouvert des portes incroyablement murées et inacessibles. Et pourtant elles sont devant nous et elles brillent tellement que nos yeux piquent, notre plus profond est rechauffé. Les angoisses sont toujours là et pourtant nous sommes sereins, nous y croyons à cette arrivée car ça va être le début de la vrai vie…

Dédicace à ma moitié :
Véro ma VRAI :
Déjà tant de temps sans te voir,
je sens ton souffle, j’entend ta voix, je devine tes yeux
tu as croisé mon âme, celle d’un corps trop meurtri pour apprécier la vie
pourtant nos mains se sont touchées, nos lèvres effleurées
de toi embrassé tu est devenue bien aimée
mes prières se sont envolées et levées au pied de ton âme
juste te regarder vivre
partager tel est mon souhait, tes angoisses, tes peines, tes contraintes,
ton souffle, ton regard, quelques jours nous séparent
plus de doutes sur nos vies
mes phrases ne sont que prières, mes rêves espoirs
ce bateau blanc qui vient te rejoindre, plus peur du noir
ce qu’est illuminé par toi, tel est mon espoir.

Mercredi 18 janvier 2006 – Pas à pas !

18 janvier 2006

Le pélerin a remplacé son bâton par un aviron, sa pélerine est usée par un ciré toujours detrempé mais la cause et certainement la même : la recherche de son âme ! Si souffrir n’est pas le mot juste, il lui ressemble un peu, cette terre promise semble encore si lointaine. Nous nous accrochons de toutes nos forces que nous puisons parfois chez vous.

Nous ne pensons qu’à une seule chose : pourquoi sommes-nous ici ? Souvent un grand vide surgit mais le coeur léger nous savons que nous sommes des priviligiés d’être les porteurs de ce flambeau parfois difficile et pourtant tellement humble et rempli d’espoir.

Encore quelques heures et nous pourrons serrer tendrement tous nos proches qui nous attendent et qui eux aussi nous portent tous en tremblant parfois mais serein de notre dénouement. La route est cahotique et encore longue…

Mardi 17 janvier 2006 – Drôle d’anniversaire !

17 janvier 2006

Il y a 18 ans, une balle perdue de gros calibre détruit le genou droit de Dumé : l’amputation est nécessaire… Au lieu de tomber dans l’ordinaire, tout a basculé dans l’extraordinaire. Mais voilà, le temps passe et il rame, nous ramons pour l’espoir, rien à voir avec une course ordinaire.

D’abord cette quête de vie, pouvoir arriver dans cette course et tout simplement la preuve que même après l’amputation il y a une vie ! Et quelle vie ! Celle qui remue les trippes, celle du partage, celle de la fraternité. Que les bien pensant cessent de nous autoriser telle ou telle chose et interdire telle ou telle autre. Nous seul connaissons nos limites. L’aboutissement n’est pas une finalité car le plus important reste le chemin parcouru…

Autre histoire : aujourdhui, c’est le 49ème jour de mer. Il y a huit ans, ce même bateau avec à son bord Jo Leguen et Pascal Blond passait la ligne d’arrivée à la Barbade… La vie est comme l’histoire : un éternel recommencement…

Lundi 16 janvier 2006 – 500 MILLES !

16 janvier 2006

Petit à petit on se rapproche ! Il nous reste plus que 502 nautiques (1 nautique = 1852 mètres). La terre se rapproche mais il faut resté super concentré, tant que le bateau n’aura pas une amarre frappée devant et derrière, c’est qu’on est pas arrivé alors on y pense mais pas trop. Pour l’instant le plus important est d’amener « Bout de vie » à bon port.

C’est certainement notre dernière semaine et déjà plein de chose traversent nos esprits, 47 jours que l’on survie dans ce minuscule espace et on s’y est habitué. On trouve même du réconfort à être dans ce bateau qui est devenu notre pote, notre confident.

Dès que ça va mal dehors, on s’y enferme et on l’écoute se confier à l’océan. Cela faisait 8 ans qu’ils ne s’étaient pas revus ; donc beaucoup d’échange. Nous, bien sur on ne comprend rien à part des bruits de vagues qui viennent mourir sur nous. On lui a promis un musée a notre retour car le seul endroit ou il pourra se reposer en paix, c’est bien là. Pourquoi pas le musée océanographique de Monaco ! En plus ce serait logique puisque c’est grâce à l’association « 11 septembre » de Monaco (créée par JC Marssan et Franck Nicolas sous la présidence du prince Albert II) qui nous a organisé une superbe soirée tombola pour l’achat de notre yole.

Donc le musée de la principauté serait logique mais pour l’instant « rame et arrête de penser »… A chaque jour suffit sa peine…

Dimanche 15 janvier 2006 – Et si le rêve se réalisait…

15 janvier 2006

La mer est toujours forte mais les bulletins nous annoncent des accalmies. Le matériel est toujours soumis à dure épreuve. Ce matin encore on a cassé un aviron, notre gouvernail de fortune tient le choque et c’est tant mieux.

En fermant les yeux, on rêve : « Et si l’ocean nous laisse arriver à Antigua ! Et si on le finissait ce long voyage ! Ce long pélerinage ! » Bien sur on est pas dupe seul le temps nous donnera la verité. La peur au ventre de ne pas y arrivé mais notre archange qui nous suis va nous protéger jusqu’au dénouement, j’en suis convaincu.

Notre rêve : juste arriver et vous sourire peu importe gloire, foule ou autre tromperie, juste accomplir un bouleau, une mission, juste pouvoir enlasser tous ses proches qui nous on tant manqués mais on ne les voyaient plus à force d’être à côté d’eux. Quoiqu’il arrive nous ne sommes plus les mêmes, tout au long de cette route des partis de nous se sont envolées, bien ou mal on ne sait pas en tout cas certains problèmes nous semblerons bien futiles ! Notre âme est à vif, prête à recevoir et surtout à donner tant d’amour, de tendresse, d’écoute… Si la vie est un temple, j’aimerais être un bâton d’encens…